Negative Numbers est le premier long métrage du réalisateur géorgien Uta Beria, un film où le rugby devient une alternative concrète et symbolique à une structure pernicieuse et mafieuse. Une histoire qui se déroule dans un centre de détention pour mineurs à Tbilissi où deux anciens joueurs de rugby professionnels relèvent le défi d’aider ces jeunes délinquants en introduisant le rugby dans le centre. Tout en entraînant les jeunes détenus, ils ont écrit leurs histoires, qui ont inspiré le film.
Nika est incarcéré dans un centre de détention pour mineurs après avoir été condamné pour un crime commis par son frère, un délinquant notoire. Cet acte, ainsi que la tutelle à distance de son aîné, lui confèrent respect et autorité au sein de la prison. Toutefois, sa participation à un programme de réinsertion par le rugby par deux anciens joueurs professionnels lui fait entrevoir un nouvel avenir.
Dès les premières images, Negative Numbers nous expose aux racines géorgiennes d’une véritable organisation criminelle appelée « vori v zakone » (voleurs dans la loi), née dans les prisons de l’URSS et perdurant bien au-delà de la chute du communisme. Ici c’est un centre de détention pour mineurs de Tbilissi qui devient le cadre idéal pour refléter cette culture criminelle. « On peut parler ? J’ai besoin que tu déclenches une émeute… On organise une révolte dans tout le pays. T’es en charge des jeunes. Quand tu donneras l’ordre, ça doit être le chaos là-dedans. Si tu te chies pas dessus, tu seras le plus jeune ‘voleurs dans la loi’ de l’Histoire. N’en parle qu’en ceux en qui t’as confiance. Tout leur argent passera par toi. »
Nika (Sandro Kalandadze) écoute les ordres de son frère aîné comme s’il s’agissait d’une parole d’évangile. Ce dernier le charge d’une mission secrète liée aux récents bouleversements politiques que connaît le pays et qu’il doit mener à bien en s’appuyant sur sa position d’autorité criminelle, une autorité pleinement reconnue par ses codétenus ainsi que par le directeur de l’établissement pénitentiaire et les matons où une trentaine de mineurs purgent des peines pour agression, viol, tentative de meurtre ou autres crimes du même genre. C’est dans ce contexte que font irruption deux anciens joueurs de rugby professionnels, qui relèvent le défi d’aider ces jeunes délinquants, en leur offrant une échappatoire par le biais de la discipline sportive.
« Trouver la liberté à l’intérieur de la prison »
Si le scénario prend la teneur apparente d’un drame carcéral, Negative Numbers nous conduit bien au-delà. Outre une description très vivante et précise de la vie quotidienne de ces jeunes, le film se fixe sur la notion de liberté et de soumission. « Trouver la liberté à l’intérieur de la prison et se battre pour cette liberté, est le sujet principal du film » explique Uta Beria en ajoutant : « Le film peut sembler antisystème, mais dans la vie moderne, on ne peut pas échapper à un système ou un autre, que ce soit le système politique, le système des mentalités, etc. Mais si ce système est censé nous rendre heureux et que nous ne le sommes pas, il y a un problème. Il faut donc essayer de l’améliorer. C’est une quête fondée sur l’espoir : comment peut-on changer le système pour le bien de tous ? »
Pour nous donner cette compréhension des enjeux, la caméra est comme l’un de ces personnages emprisonnée dans les espaces confinés de la prison et apparaissant à la fois timide mais aussi libre lors des séances d’entraînement hebdomadaires. Au début, ces séances d’entraînement sont filmées à distance, la caméra étant à l’écart et séparée par une grande clôture, métaphore de la liberté tant désirée.
Au fil du temps, et avec la confiance grandissante des prisonniers, la caméra s’enfonce dans la vigueur du rugby, montrant que la libération d’une telle situation n’est possible que par la combinaison de décisions courageuses et de la force du collectif.
Nika d’ailleurs, d’abord réticent à pratiquer ce sport où tous sont théoriquement égaux sur le terrain et qui menace alors d’abolir le système pyramidal dont il privilégie, en vient bientôt à sympathiser avec ce sentiment d’équipe. Nika commence à douter et à sentir sa position dominante vaciller, ce qui n’est pas sans risque… la notion de groupe pouvant aussi bien rendre esclave que libérer.
Quelque part entre les barreaux de la prison et les multiples formes d’ombre qui accompagnent ces jeunes hommes dans leur environnement solitaire, naît un hommage d’une beauté tranquille à un sport qui unit des millions de personnes à travers le monde.