La jeunesse n’a pas de pitié. Vous vous apprêtez à déguster quelques canapés, boire une coupe de crémant – quoi de meilleur, je vous le demande ? Oui, certes, il existe des alternatives à ce nectar, mais quand on vit dans le département du Maine-et-Loire, il est vivement conseiller des les ignorer – bref, le réveillon s’annonce comme un vrai délice, quand, soudain, les deux jeunes adultes qui se sont affalés sur un fauteuil vous interrogent : « dites, papy et mamie, qu’est-ce que c’était… la gauche plurielle ? » En quelques mots, ces cruelles créatures que l’on appelle des petits-enfants vous ont gâché la fête. Quoi ? L’époque toute récente où vous étiez jeunes et cependant plein de maturité se trouverait reléguée aux livres d’Histoire ? Et pourquoi pas aux archives nationales ? Quelle ingratitude ! Mais, sous vos airs d’agneaux, vous êtes renards. Alors, aussitôt, vous répondez : « Gertrude et Clodéric, au lieu de poser des questions stupides, ouvrez donc vos cadeaux ! » Les grandes tiges s’exécutent et là, que trouvent-ils sous le sapin ? « La gauche plurielle (1997-2002) » que Pierre-Emmanuel Guigo (un historien sérieux puisque son épouse est pasteure) et Thibault Tellier, publient aux éditions du Bord de l’eau, avec la Fondation Jean Jaurès.
Il s’agit d’un travail collectif, auxquels participent les meilleurs spécialistes du moment. Constat lucide (« sans mésestimer ce qu’elle a réalisé, la gauche plurielle a, avant tout, bénéficié des erreurs et des divisions de la droite », écrit l’un des auteurs), ce panorama permet de replacer l’œuvre accomplie par Lionel Jospin, de surmonter les effets d’une téléologie négative qui nuit, c’est l’évidence, à la réputation de cette belle aventure : pace qu’elle s’est mal terminée, la plupart des commentateurs la dénigrent. Or, pendant cinq ans, Lionel Jospin et ses ministres ont accompli un travail considérable dont il est juste de souligner les réussites.
Ici, déjà, se devine votre colère. Est-il nécessaire d’offrir à Noël pareil cadeau ? N’est-ce pas pousser le bouchon de l’austérité jusqu’au supplice ? Admettons. Vous avez tort de vous énerver parce que ce travail est excellent, mais, admettons.
S’évader grâce aux livres
Laissons dormir la politique et combinons la méditation littéraire et la théologie. Suisse et poète – mais oui, cela se peut ! Faut-il vous rappeler Ramuz ? – suisse et philosophe – une alliance que la présence des montagnes encourage – suisse et protestant – là, pas de commentaire : un pléonasme n’en a pas besoin…! – Jean Prod’hom publie chez Labor et Fides deux ouvrages magnifiques, à glisser dans sa poche les jours de tristesse, quand vous pensez que rien ne vaut rien, que votre tête est plongée dans le goudron des angoisses. « Qui ne s’est réveillé un beau matin les mains vides, allégé mais sans perspective, un peu perdu ? demande l’auteur en incipit de son livre « Elargir les seuils ». Pour ma part, j’en suis là, orphelin d’une tâche qui m’a occupé et justifié de longs mois. La vague qui m’a porté s’est retirée et m’a laissé sur l’estran ».
Nous vous recommandons aussi « Jardin sans clôture », évocation de l’histoire protestante, mieux encore une réflexion sur la vie.
Toujours attentifs à cultiver la bonne humeur, nous vous recommandons le nouveau livre d’Alain Corbin : « Histoire de la joie, voyage au cœur de notre intimité » (Fayard 192 p. 16,90 €). Formidable homme de culture et de science, l’historien compose, à partir de sa propre bibliothèque, une de ces analyses généreuses dont, plus tard, pourront s’inspirer de jeunes chercheurs. Un très joli programme dont seul Corbin sait tisser le texte, maniant profondeur du regard et légèreté du propos. « La joie entretient un lien étroit avec la religion » remarque-t-il. Cela ne l’empêche pas, quelques pages plus loin, d’évoquer la joie ressentie par Paul de Gondi quand il devint cardinal de Retz, ou bien celle qu’envahissait les élèves à l’école de la troisième république, à l’instant de recevoir un prix, les encouragements d’un maître, ou bien encore le bonheur de respirer dans les champs. C’est un homme libre et tendre qui vous écrit. Saisissez la chance de vivre en même temps que lui.
Mais parce qu’il n’est pas de fête réussie sans musique, il est inconcevable d’achever cette chronique sans vous suggérer quelques disques.
Noël en musique
Au premier plan nous plaçons « Le voyage imaginaire de Mozart au Japon », livre-disque épatant que les musiciennes du trio George Sand et leurs amis publient sur le label Elstir.
Anne-Lise Gastaldi et Virginie Buscail sont talentueuses, niçoises et protestantes. Faut-il insister davantage ? Evidemment non : vous allez vous régaler, un point c’est tout.
Enfin… C’est presque tout. Parce qu’il faut encore compter avec ce drôle de zèbre de François-Xavier Poizat. Ce jeune pianiste franco-suisse présente son intégrale Ravel (label Aparté). Oui, vous avez bien lu : l’intégralité des partitions composées par le grand Maurice dans lesquelles intervient le piano. Tout y passe, même la transcription de La Valse…
Quand le coffret de 6 CD nous est parvenu, soyons justes, nous avons rigolé : quelle mouche a piqué ce garnement, de graver pareilles interprétations, lors même qu’il existe de sublimes versions bien connues ? Eh bien la mouche n’était pas du coche. Bien au contraire, elle a rudement bien agi. François-Xavier Poizat nous livre un coffret – à prix modique – des plus formidables. En écoutant cet artiste, il nous semble entendre les concertos, Gaspard de la Nuit, le Menuet antique, pour la première fois.
Lorsque s’achève la fête, il est fréquent de ressentir en soi la tristesse de voir un monde s’évanouir, une peur intense à l’endroit de l’avenir. « Et si tout cela n’avait été qu’un feu de paille ? » Pensons-nous, dans notre for intérieur. La naissance de Jésus – enfin naissance théorique, ainsi que nous le savons, car, comme dit le pasteur Jean-Pierre Rive : s’il était vraiment né le 24 décembre, même à Bethléem, il lui aurait fallu plus qu’un tout petit maillot pour ne pas mourir de froid ! – la naissance de Jésus ne saurait nous guérir de toutes nos angoisses. Alors, dans le silence de la nuit de Noël, quand vos amours, étreintes par Morphée, vous laisseront face à l’immensité de vos étoiles noires, déposez discrètement ces quelques notes sur la platine : Duke Ellington, un roi mage à nuls autres pareils.
Joyeux Noël à tous !