Le marronnier côtoie le sapin. Deux arbres : celui des journalistes et celui de Noël. Ne vous offusquez pas du caractère coutumier d’une telle chronique. Il est doux de formuler des propositions de cadeaux. C’est un jeu de complicité, de partage, le jeu de qui reçoit des livres et des disques afin de les mieux faire connaître aux lecteurs. Il s’agit, de surcroît, de murmurer « Joyeuses fêtes ». Alors, vogue le navire et laissons nous porter par les délices du solstice d’hiver.
Redécouvrir Bach
A tout seigneur protestant tout honneur, Bach ouvre le bal. On ne compte pas moins de trois coffrets des « Six suites » parus ces derniers mois. Pierre-Henri Xuereb interprète les partitions sur quatre instruments différents – parmi lesquels une viole d’amour – et Valérie Aimard, une de ces artistes à l’exigence extrême, qui confine à la douleur, et dont le talent mériterait d’être mieux reconnu, livre un double disque remarquable (édité par le label En phases). Mais c’est l’album de Raphael Chrétien (paru chez By Classique label) que nous vous recommandons d’offrir. Par une respiration naturelle, une alliance de labeur et de grâce, Raphael Chrétien nous donne l’impression que nous écoutons ces œuvres pour la première fois.
Mais oui. Même cette amorce plus que célèbre nous semble inédite. Les changements de rythme, le phrasé tantôt plus vif ou tantôt plus lent que de coutume, obéissent non pas à l’artifice d’un capricieux mais à l’inspiration d’un artiste accompli. Dans une église de Sens, en trois jours – « tout un programme » dirait Lacan – Raphael Chrétien – voilà qui insiste – a réalisé la performance de graver l’une des plus belles interprétations des « Suites pour violoncelle » que l’on ait entendues depuis longtemps.
Un livre d’histoire
L’Europe, l’Europe, l’Europe… et ses Lumières. Bernard et Monique Cottret l’aiment. On parle au présent bien que Bernard, un funeste jour de juillet, nous ait quittés. Les voici qui nous offrent une fresque d’envergure : « l’Europe des Lumières, 1680-1820 » (Perrin 30 €).
Méfiez-vous ! L’ouvrage compte 875 pages et, sitôt la première page tournée, vous ne pourrez pas faire autrement que tourner la suivante – il y a dans ce festin d’Histoire quelque chose de ce que les américains désignent sous le vocable de « Page turning novel ». Et pour cause : Monique et Bernard Cottret fuient l’ennui comme la peste, nourrissent leur ouvrage d’une littérature élégante et joyeuse. Ils cultivent, supplément d’âme, une liberté de ton qui les fait piochez partout les références :
« Attribut divin depuis l’Egypte des pharaons, revisitée par les Evangiles et la franc-maçonnerie, la lumière, dès qu’elle prend la forme plurielle, se laïcise en partie, souligne les auteurs. Dérobées au ciel, les Lumières assument un temps une valeur prométhéenne jusqu’à ce que quelque Bouvard et Pécuchet, perdant de vue le caractère sublime de la philosophie, transforme en idées reçues et en platitudes la fulgurance première. Le psychanalyste, attentif aux jeux souterrains des inconscients, aura beau jeu de rappeler la part d’obscurité qui poursuit, à leur insu, les hommes des Lumières en matière symbolique ».
Prendre le large
Et maintenant, prenez le large, le vrai, le grand. Celui qui croise les mers turquoises, dont se méfient les marins d’eau douce et que traversent les grains de folie. « Routes nouvelles, côtes inconnues » (Flammarion, 390 p. 75 €) compte parmi les plus beaux livres de cette fin d’année. L’auteur en est Hubert Sagnières, un collectionneur, passionné de marine à voiles.
Il nous raconte 16 explorations françaises autour du monde, menées de 1714 à 1854. Par le menu, comme on dit. C’est-à-dire en illustrant les réussites, les échecs et les découvertes formidables que d’intrépides navigateurs ont entrepris. Les maladies, les tempêtes et les malentendus de toutes sortes à chaque instant les menaçaient. Mais les belles surprises aussi: quand on part en mer au début de la Révolution Française et que l’on revient trois ou quatre ans plus tard, on n’a plus le même roi, le gouvernail a changé de main, bref, il est obligatoire de naviguer à vue. Parcourant ce luxueux carnet de bord, on est ébloui par les couleurs et les planches, les oiseaux, les costumes. Avec ça, le commentaire est épatant. Même l’auteur de ces lignes, qui rêvait jadis d’embarquer sur « La Licorne » et n’a jamais franchi d’autre cap que celui de ses espérances évanouies s’est laissé prendre au jeu. C’est dire qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un permis bateau pour adorer cet album.
Et pour finir…
A cet instant peut-être pensez-vous qu’il faut aussi, dans la corbeille des Réveillons, l’un de ces cadeaux qui traversent les champs, lièvres de la vie, de bonne humeur ou de curiosité. Ne reculant devant aucun sacrifice, la « maison Casa » formule deux propositions.
La première: « Jean Carol, un ariégeois au cœur de l’histoire » (Vox Scriba 212 p. 20 €).
Gilbert Laffaille, chanteur-auteur-compositeur bien connu, relate l’histoire de son grand-père, prénommé Gabriel, qui signait sous le nom de Carol des romans et des nouvelles des récits proches du reportage. Un ariégeois comme on les aime : pas prétentieux, soucieux du sort de son prochain sans se payer de mots. Le séjour de Laffaille-Carol à Madagascar est à ce titre une merveille de lucidité.
La seconde : un peu de musique divertissante ou, pour mieux dire, une anthologie joyeuse, un hommage à Gérard Krettly, compositeur célèbre sous le nom de Gérard Calvi, paraît chez Marianne Mélodie. Ce protestant pas comme les autres a conçu la partition des spectacles et des films de Robert Dhéry, Pierre Tchernia, René Goscinny. Vous voyez le genre du personnage. Mais attention ! Gérard Calvi avait dans sa jeunesse collectionné les plus grands prix classiques, en particulier celui de Rome. Autant dire que vous pourrez vous l’offrir et l’offrir à ceux que vous aimez sans avoir mauvaise conscience. Un cadeau protestant comme on en rêve !