Depuis le 8 mars, la chaîne Culturebox propose le spectacle de Tania de Montaigne qui interprète son propre texte, Noire. Grâce à la magie de sa voix et de la mise en scène de Stéphane Foenkinos, le spectateur se voit proposer de devenir la jeune Claudette Colvin, le temps d’une représentation… 

Pour soutenir le monde de la culture, asphyxié par les décisions gouvernementales depuis près d’un an en raison de la crise sanitaire, France Télévisions a lancé depuis le 1er février 2021 une chaîne éphémère 100% culture baptisée Culturebox. Elle est accessible gratuitement et 24 heures sur 24 depuis le canal 19 de la TNT, sur la plateforme france.tv et dans les replays de France Télévision sur les box. On peut y découvrir de nombreux concerts, événements, spectacles de théâtre et de danse, festivals captés ces dernières années, ou encore des visites de musées ou d’expositions. Culturebox devient ainsi, en quelques sortes, « la plus grande scène de France », pour reprendre les termes utilisés par la chaîne, en programmant chaque semaine un ou plusieurs spectacles inédits, dans tous les genres, et en allant à la rencontre des artistes, des créateurs et de tous ceux qui créent et portent la culture.

C’est ainsi, en parcourant les propositions du moment, que j’ai pu découvrir une petite perle, Noire, de et avec Tania de Montaigne, adapté et mis en scène par Stéphane Foenkinos.

Avec un décor minimaliste et des photos d’époque qui illustrent son récit, la comédienne, journaliste et autrice engagée nous propose un docu-spectacle tout à fait remarquable, capté au Théâtre du Rond-Point. Elle donne ainsi au spectateur l’occasion de découvrir une histoire vraie, et méconnue, de façon originale et particulièrement touchante. C’est absolument passionnant !  Cette histoire c’est celle de Claudette Colvin, une jeune Noire d’Alabama âgée de 15 ans qui, en mars 1955, dit non : elle ne cède pas sa place à un Blanc dans le bus. Comme tous les jours, Claudette achète son ticket à l’avant du bus mais doit monter à l’arrière. Places réservées, sorte de bétaillère. À l’avant, ce sont les Blancs. Mais quand ils n’ont plus de place, les Noirs doivent céder les leurs, à l’arrière. C’est la loi. La gamine noire, ce 2 mars 1955, refuse de laisser sa place. On l’arrête, elle imagine le pire. Viol, prison, lynchage. Malgré tout, Claudette plaide non coupable et attaque la ville en justice, c’est une première.

Claudette Colvin, c’est donc « celle qui n’était pas Rosa Parks » comme le rappelle Tania de Montaigne. Car l’histoire a retenu le retentissant refus de la militante afro-américaine Rosa Parks neuf mois plus tard, mais qui se souvient de Miss Colvin ? C’est donc une façon de revenir aux sources de la lutte pour la fin de la ségrégation et pour les droits civiques dans le sud des États-Unis des années 50, de rétablir des bases, de s’interroger aussi sur ce qui fait que l’on se souvient ou non de faits passés, et de croiser quelques figures telle celle du pasteur Martin Luther King…

Un spectacle qui est d’abord un livre de Tania de Montaigne, Noire. La vie méconnue de Claudette Colvin, paru chez Grasset en 2015, et qui obtint le prix Simone Veil la même année. En adaptant ce texte puissant sur scène, au-moyen d’un dispositif de plusieurs rideaux transparents qui deviennent écrans permettant de visualiser diverses images d’archives (photographies, extraits de films) en étroite relation avec le récit, l’auteure devient comédienne récitante sobre et minimaliste, donnant au spectacle une tournure qui interpelle et touche le cœur. Elle nous plonge littéralement en ce printemps 55 au cœur d’un Alabama raciste et ségrégationniste jusque dans le moindre détail de la vie quotidienne.

« Prenez une profonde inspiration, soufflez, et suivez ma voix, désormais, vous êtes noir, un Noir de l’Alabama dans les années cinquante. Vous voici en Alabama, capitale : Montgomery. Regardez-vous, votre corps change, vous êtes dans la peau et l’âme de Claudette Colvin, jeune fille de quinze ans sans histoire. Depuis toujours, vous savez qu’être noir ne donne aucun droit mais beaucoup de devoirs. », voilà Tania de Montaigne nous invite, et nous la suivons. Ces mots nous prennent par la main…. « Écoutez ma voix et avancez encore. À présent… oui, désormais, vous êtes noire. Vous êtes une femme, donc moins qu’un homme, et vous êtes noire, donc moins que rien. Qu’y a-t-il après la femme noire ? »

Le ton est donné et tout est dit quelque part avec cette dernière phrase qui reviendra à nouveau dans le spectacle. Aucune volonté de mettre mal à l’aise, de laisser le ressentiment l’emporter ou d’installer une forme de posture accusatoire, mais clairement l’idée que le spectateur ou téléspectateur soit comme associé, immergé… qu’une forme de métamorphose s’opère nous permettant d’entrer dans la peau d’une afro-américaine vivant à Montgomery au milieu des années 1950. Ce sont donc naturellement les rapports noirs-blancs qui sont au cœur du récit, mais Tania aborde aussi la condition des femmes plus largement. Elle soulève aussi, avec sans doute un certain courage, la question des arrangements (politiques, judiciaires et intercommunautaires) qui se tramèrent ensuite entre les hommes par-dessus sa tête et se retournèrent contre la jeune femme.

Alors ne passez pas à côté de ce cadeau qui nous est fait de pouvoir prendre un peu plus d’une heure pour nous enrichir véritablement de la vie de Miss Colvin racontée avec justesse et beauté par Tania de Montaigne. Une œuvre qui a du sens et de la forme…