Avec Notre-Dame du Nil, le réalisateur afghan Atiq Rahimi nous plonge dans les prémisses du massacre ethnique rwandais, en adaptant le roman éponyme semi-autobiographique de Scholastique Mukasonga qui a perdu 27 membres de sa famille, dont sa mère, dans le génocide.

L’auteure, qui a reçu le prix Renaudot pour ce livre, y décrit un pensionnat catholique qu’elle a fréquenté au Rwanda. Les filles étaient issues de l’élite du pays et ont été éduquées pour devenir la future classe dirigeante.

Synopsis : Rwanda, 1973. Dans le prestigieux institut catholique Notre-Dame du Nil, des jeunes filles rwandaises étudient pour devenir l’élite du pays. Mais partout grondent des antagonismes profonds.

Le roman Notre-Dame du Nil de 2012 de l’écrivaine rwandaise Scholastique Mukasonga ne traitait pas spécifiquement du bain de sang historique de 1994 qui a vu des membres de la majorité hutue du Rwanda massacrer 800 000 de leurs compatriotes, pour la plupart des membres de la minorité tutsie, en seulement trois mois, mais plutôt de la façon dont la division des classes, le colonialisme et la disparité économique ont créé un terreau toxique de ressentiment et de préjugés qui a rendu le génocide possible. En utilisant comme microcosme un pensionnat catholique rwandais exclusivement féminin, elle explique comment les graines de la haine ethnique ont été plantées, nourries et encouragées à s’épanouir. L’adaptation cinématographique terrifiante et splendide à la fois de Rahimi ne va pas plus loin et ne raconte donc pas non plus le génocide. Il est cependant tout aussi précieux : le prélude éclairant de la tragédie, un récit d’origine simple et fidèlement adapté d’un texte essentiel. Le film ne cherche pas à discerner les raisons du génocide, mais recrée plutôt l’atmosphère de haine aveugle qui l’a précédé.

Le réalisateur déplace donc son objectif de son Afghanistan natale, décor de ses précédents films Terre et Cendres et Syngué sabour. Pierre de patience, vers la jungle brumeuse du Rwanda en 1973. Au pensionnat Notre-Dame du Nil, perché sur une colline au-dessus d’un village, géré par des religieuses et des prêtres catholiques belges, les lycéennes se sentent protégées du monde. Les filles sont pour la plupart issues de riches familles hutues. L’école impose un plafond de 10% d’admissions d’élèves tutsis, bien qu’elle aille légèrement au-delà du quota, au grand dam de certaines filles hutues. Cette école est considérée comme une institution de haut niveau de « bonnes chrétiennes » où les filles sont préparées à devenir « l’élite féminine du pays ». Leurs tâches quotidiennes, en plus des cours, consistent à planter des légumes, à entretenir les archives et à nettoyer la statue de la Vierge Marie qui repose sur une colline surplombant le fleuve.

C’est une histoire qui laisse une profonde et longue impression, et Rahimi la filme avec compassion, sans faire de l’esbroufe. Malgré l’aspect tragique du sujet, il remplit constamment Notre-Dame du Nil de vraie beauté. Il n’axe pas son sujet sur une déflagration de violence, mais la développe au-travers de quatre actes, sans qu’ils ne viennent rompre la fluidité narrative : « l’innocence », »le sacré », »le sacrilège » et « le sacrifice ». Le réalisateur explique, à ce propos, que les titres de ces chapitres, écrits en kinyarwandas, ne sont pas aussi conceptuels que dans la langue française. « L’innocence » c’est : « l’enfant qui sourit même à son ennemi » ; « le sacré», « ce qui est nommé par Dieu » ; « le sacrilège », « oublier le nom donné par Dieu » et enfin « le sacrifice », c’est « le bouc-émissaire ». Il fait également preuve d’une immense compassion envers les filles de la minorité tutsie de l’école. Mais il va plus loin encore, offrant de véritables moments surréalistes et il parvient à illustrer la facilité avec laquelle des hommes et des femmes peuvent se retourner les uns contre les autres, tout cela sur la base d’un simple mensonge et de la création d’un bouc émissaire.

Cette coproduction France-Belgique-Rwanda fait aussi appel à des talents de premier plan au niveau technique. Les plans de Rahimi sur les montagnes et les collines isolées sont magnifiques. Le portrait de l’Afrique dans les années 1970 du directeur de la photo Thierry Arbogast (Nikita, Lucy) est admirable et se regarde comme une jungle sauvage momentanément apprivoisée par les lumières douces et les vêtements blancs des élèves de l’école catholique. Ainsi, lorsque l’histoire s’arrête pour permettre à un groupe de jeunes filles de danser sous le ciel gris acier, ce n’est pas seulement une scène à couper le souffle, c’est aussi un profond moment de deuil pour une terre magnifique et verdoyante qui est hélas destinée à devenir le site d’un des massacres les plus barbares de l’histoire moderne. Comme le souligne Scholastique Mukasonga, « cette beauté rend paradoxalement encore plus forte cette violence qui vient tout salir ». Le monteur Hervé de Luze (qui a également travaillé sur Syngué sabour. Pierre de patience de Rahimi ou Le pianiste de Polanski) donne, pour sa part, à chaque incident son dû et relie avec élégance les fils narratifs et les humeurs disparates qui traversent le film. Certains choix musicaux sophistiqués sont aussi gracieusement insérés. Et enfin, Rahimi obtient de très belles performances de ses actrices, dont beaucoup ne sont pas professionnelles.

Notre Dame du Nil est un film qui touche droit au cœur et qui sait aussi garder, en même temps, une certaine distance avec l’horreur, même si le final reste inévitablement marquant. Une belle adaptation d’un livre qui, déjà, avait su marquer les esprits.