Une histoire simple et belle, d’une formidable fraîcheur, un mélange de rêve et de poésie qui rencontrent la comédie et qui fait beaucoup de bien dans cette entrée en confinement.
C’est l’histoire de Laura (Rashida Jones), auteure à succès en panne d’inspiration, mère de deux filles, qui vit dans un très chic appartement dans un beau quartier de Manhattan. Lorsque Dean (Marlon Wayans) revient d’un voyage d’affaires, elle ouvre sa valise et y trouve une trousse de toilette pour femme. Il affirme qu’il appartient à sa collègue de travail, Fiona (Jessica Henwick), qui lui a demandé de le mettre dans son sac parce qu’il ne rentrait pas dans sa valise, mais Laura doute. Elle le soupçonne d’avoir une liaison avec Fiona. Lorsque son père, Felix (Bill Murray), un homme riche et coureur de jupons, lui rend visite, il la persuade de traquer Dean ensemble pour savoir s’il a une liaison ou non.
Quatre vingt dix sept minutes, parfaitement cadencé, qui font de On the Rocks, l’un des films les plus intelligents et les plus émouvants que la scénariste-réalisatrice Sofia Coppola ait réalisés depuis son odyssée transcendante de Tokyo, avec déjà Bill Murray (et Scarlett Johansson), dans Lost in Translation. On the Rocks parle en fait, dans le fond, de l’éveil de Laura au vide qui se cache derrière son incandescence – un éveil qui prépare le terrain pour sa renaissance spirituelle. Ce voyage ne correspond peut-être pas aux sommets visuels et émotionnels de Lost in Translation, mais On the Rocks triomphe à sa manière en racontant la belle histoire d’une femme qui, scène par scène, revendique peu à peu le film comme le sien.
Coppola parvient à créer des moments magnifiquement poignants, comme lorsque Dean et Laura sont en train de dîner pour célébrer l’anniversaire de Laura et qu’un serveur apporte un dessert avec des bougies à leur table, puis la dépasse, pour aller vers celle d’à-côté. Dean voit la réaction de Laura, et il se rend compte qu’il aurait dû y penser aussi. Leurs expressions seules suffisent à en dire tant… C’est aussi ce doux moment où Félix et Laura se faufilent hors d’une fête (en marchant à reculons) et s’arrêtent pour admirer un Monet tranquillement suspendu dans un couloir inoccupé. Dans une autre tendre scène, Félix se souvient d’un amour perdu, celui de la femme pour laquelle il a quitté la mère de Laura. Laura ne veut pas vraiment l’entendre, mais Félix doit l’exprimer. Murray prend son temps, avec de longues pauses pour réfléchir et se souvenir. Une scène qui respire véritablement et nous fait respirer… Murray est aussi très drôle, avec un jeu d’un extrême naturel. Il semble ne rien faire d’autre qu’être lui-même… Il joue le rôle d’un type qui, sur la page, a tout pour être perçu comme un « connard répugnant ». Son personnage dit ainsi des choses franchement terribles sur les femmes, les relations amoureuses, et le couple. Mais la façon dont Murray l’interprète, le transforme en un voyou si charmant et charismatique qu’on comprend pourquoi il plaît tellement aux gens. Après une longue série de seconds rôles pas franchement formidables, il est vraiment agréable de le retrouver en si grande forme. C’est une performance subtilement brillante, sa meilleure sans doute depuis son apogée dans Rushmore, Lost in Translation, Broken Flowers ou La vie aquatique, mais il y a plus de 15 ans.
Rashida Jones, fille de l’icône de la musique Quincy Jones et de la comédienne Peggy Lipton, continue à montrer son éventail non seulement dans l’humour, mais aussi comme actrice talentueuse et scénariste remarquable (comme l’épisode Chute libre dans la saison 3 de la série Black Mirror). En réunissant Murray et Jones, Coppola obtient un cocktail fougueux et savoureux. Cette histoire simple mais malgré tout imprévisible joue sur les forces du duo d’acteurs, et la réalisatrice parvient à éviter tout moment ennuyeux, en créant sans cesse de doux petits moments significatifs.
Coppola a montré, avec son travail passé, un intérêt pour les relations humaines, et On the Rocks est parfaitement dans cette veine là. Il raconte une histoire de mariage à travers la lentille des liens entre un père et sa fille. Le spectateur commence à les apercevoir dans la vie de Laura comme la genèse de ses insécurités, profondément enracinées dans cette relation avec son père… et pourtant, rien de tout cela n’est jamais explicitement énoncé dans le film, juste suggéré. Ce qui est également remarquable dans On the Rocks, c’est que son intrigue est toute en légèreté. Ici finalement, on ne se soucie guère de savoir si le mari la trompe ou non, ou si elle va le surprendre. Non, ce qui ressort vraiment, par contre, ce sont les performances des personnages, le rythme de l’histoire, tous les sous-entendus subtils, les ambiances et le ton général de l’ensemble, et enfin la représentation cinématographique du centre de Manhattan. Sofia Coppola tourne New York, en particulier le quartier de Soho, avec élégance et de façon très soignée, comme dans cette superbe séquence où Jones et Murray vont passer une nuit en ville dans une vielle voiture décapotable. On y voit des bars en sous-sol, des restaurants chics et, plus que tout, des rues de la ville. Justement, à propos de cette fameuse scène dans laquelle Murray et Jones se promènent dans cette décapotable, dans une filature improbable, et se font arrêter par deux policiers. Elle est emblématique de fraîcheur et de cette habile façon pour Sofia Coppola de manier la comédie dans sa réalisation. Murray réussit tellement bien à embobiner l’agent, qu’il ne se contente pas de lui faire oublier la contravention, mais qu’il les amènent à pousser la voiture pour la faire redémarrer. Un moment délicieux certainement.
Dans la triste période que nous devons traverser, Sofia Coppola et Apple TV+ nous font cadeau de sourires et même de rires, de bien être et d’embrassades, d’une belle humanité et de beaucoup d’amour… Et c’est pourquoi un film comme On the Rocks peut être aussi profond et d’un gain si agréable vous laissant une sensation de chaleur intérieure.