Louise-Athénaïse et Louis Prosper ont engendré Camille, Louise et Paul. En suivant leur vie quotidienne à Villeneuve-sur-Fère, département de l’Aisne, on se croirait à Chaminadour- il est vrai qu’en folie, Jouhandeau s’y connaissait- tant la famille Claudel paraît dingue. On laissera de côté la sculptrice, aujourd’hui mondialement célébrée, pour observer son cadet. Le diplomate-écrivain, tel est notre sujet. Drôle de sujet.

Claude Perez consacre à Paul Claudel une biographie judicieusement sous-titrée « je suis le contradictoire » (Le Cerf, 568 p. 24€).
Le préambule de ce grand livre permet de comprendre à quel point Claudel ne peut être réduit à sa caricature :

« Poète, prosateur, dramaturge, globe-trotter (treize ans « à la Chine », cinq ans au Japon : quel écrivain français a été moins hexagonal ?), professionnel de la politique et de l’économie internationales, familier de Rodin, Mallarmé dans sa première jeunesse, devenu, vers la cinquantaine, un collaborateur de Briand et un ami d’Herriot, plus tard un interlocuteur de Roosevelt, de de Gaulle. Et nul n’oublie le catholique, un catholique intransigeant, « Fanatique »,( le mot est de lui) qui va à la messe tous les jours, un prêtre manqué, dit-il quelquefois, qui a été tout prêt de se faire moine en 1900, quelques semaines avant de croiser la route d’une certaine Rosalie Vetch, mieux connue désormais sous le nom d’Ysé, son nom de scène. »

Quel plaisir peut-on trouver à lire ou écouter Claudel quand on est protestant ? Ce déluge d’images, de passions cléricales, de tourments, de culpabilité, n’est-ce pas à vous soulever le cœur ? Certes oui. Mais le langage, tout de même… Ouvrons « Partage de midi » :

« J’aime les nôtres, les touilleurs de feu, quand ils remontent de dessous nous, au soir, avec rien que les dents de blanc pour prier dans cette Arabie de la mer ! Quand on a bêché tout le jour dans le poussier, nourrissant le Sultan jaune, avec quelle dignité on peut attraper sobrement son quart d’eau ! Et nous autres, les blancs, bavards, cyniques, juponnés, enculottés, les bois-sans-soif, les mangeurs de cochon ! »

Quand on aime la littérature, on peut cultiver ses préférences, on ne peut dénier la puissance et la richesse d’un verbe.

On aime aussi l’exotisme du voyage, parcourir un autre temps comme on parle d’un autre monde. A ce jeu, Claude Pérez, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille est imbattable. Il nous entraîne dans l’œuvre et la vie de Claudel avec le talent de ceux qui, ayant toute leur vie creusé le même sillon, soulèvent le soc et laissent vivre leur inspiration. Regardant sans complaisance les égarements de son personnage, il dénoue les idées reçues qui courent à son propos, mais il souligne aussi ses engagements constants, trop peu connus : « Claudel, membre d’une association philo-judaïque en 1926, puis d’un comité sioniste au printemps 1940, Claudel qui, en 1941, au moment des premières rafles, écrivait au rabbin Schwartz son indignation, qui déplorait en 1945  « L’affreux silence » de Pie XII sur le génocide, n’a pas seulement fait preuve d’un bel esprit de suite depuis les années vingt jusqu’à sa mort. Il est aussi l’un des premiers écrivains français à avoir pris, dès le lendemain de la guerre, la mesure de ce qu’il appelle holocauste. Il le fait à un moment où l’idée que nous avons aujourd’hui de l’extermination et de sa place dans l’histoire n’a pas cours, au moment où Sartre, par exemple, publie cent-quatre-vingt-dix-huit pages de « Réflexions sur la question juive » sans faire presque aucune mention d’Auschwitz. Claudel, lui, l’a fait. Mais qui le sait ? »
Gide, sans doute, qui notait le 14 décembre 1931 dans son journal : « Il n’y a nullement lieu de chercher à « excuser » Claudel. Je l’aime et le veux ainsi, faisant la leçon aux catholiques transigeants, tièdes, et qui cherchent à pactiser. » La république des Lettres à chaque instant réserve des surprises. A part quoi le 25 novembre au soir, l’église Saint-Roch ouvrira ses portes à la Messe en si de notre cher Jean-Sébastien. La musique, ou l’art de rapprocher les cœurs.