Gagnant incontestable du prix du Jury œcuménique lors du dernier Festival de Cannes, mais aussi du prix d’interprétation masculine pour la prestation ciselée du grand acteur japonais Kôji Yakusho, le nouveau long métrage du cinéaste allemand septuagénaire Wim Wenders, est un petit bijou offrant du bonheur à l’âme.
Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo et semble se satisfaire d’une vie simple. En dehors de sa routine quotidienne très structurée, il s’adonne à sa passion pour la musique et les livres. Il aime les arbres, et les prend en photo. Une série de rencontres inattendues révèlent peu à peu son passé. Une réflexion profondément émouvante et poétique sur la recherche de la beauté dans le monde quotidien qui nous entoure.
« Le réalisateur nous transmet un puissant récit sur l’espoir, la beauté et la transfiguration dans le quotidien de nos vies. » C’est avec ces mots que le Jury œcuménique a défendu son choix lors de la remise du prix à la fin du dernier Festival de Cannes, face à un Wim Wenders ému et reconnaissant qui a témoigné ensuite de la dimension spirituelle dans Perfect Days.
Une dimension spirituelle
Ce film peut être vu comme une forme de contemplation philosophique sur le sens de la vie, la capacité à se satisfaire du minimum et d’y prendre plaisir. C’est une ode à la grandeur d’âme qui s’exprime dans la performance centrale introvertie et profondément touchante d’un des piliers du cinéma japonais Koji Yakusho dans le rôle d’Hirayama. Cet homme est un solitaire, qui accomplit avec engagement et de façon très consciencieuse un métier peu reluisant. Il a ses habitudes et n’en déroge guère. Il parle peu, très peu, très très peu… la parole est précieuse, alors il la protège. Sur ce point, en interview, l’acteur japonais commente ainsi les choses : « J’ai l’impression que lorsqu’on a beaucoup de dialogues, les émotions sont un peu perdues. C’est pour ça que j’aime beaucoup les rôles avec peu de répliques, j’ai l’impression d’être plus proche du personnage ».
Le choix de la beauté en toutes choses
Mais progressivement nous comprenons aussi qu’Hirayama est un esthète. Et le film prend alors aussi une autre tournure, mettant en discrète exergue, à côté du contentement, l’art et la culture comme éléments constructifs d’un rapport à la vie passant par le choix de la beauté en toutes choses. La première chose que fait Hirayama en sortant de chez lui, c’est regarder le ciel tout en esquissant un sourire. Tous les matins, c’est ainsi. Comme un rituel, avant de prendre la voiture et d’aller travailler. Il prend le temps de se détendre régulièrement dans un établissement de bains, mange dans divers bars où il écoute avec amusement les plaisanteries des clients, lit William Faulkner ou Patricia Highsmith et prend des photos de la nature qui l’entoure avec un vieil appareil photo à pellicule. Il cultive des plans d’arbres avec soin et se délecte du son de ses vieilles cassettes en écoutant Lou Reed, Otis Redding, Nina Simone, Van Morrison, Patti Smith ou les Rolling Stones.
On comprend aussi, par la venue soudaine d’une jeune nièce Niko (Arisa Nakano) qui a fuguée et qui apporte un peu d’inattendu dans sa routine, que cet homme vient d’une famille riche avec qui il a rompu pour des raisons qui nous restent inconnues. Il faudra, nous aussi d’ailleurs nous en contenter… Et puis il y a Mama (Sayuri Ishikawa), qui tient un bar. Elle chante magnifiquement bien, et ne semble pas insensible au charme d’Hirayama (et réciproquement). Mais Wenders joue simplement avec cette relation romantique sans la pousser plus loin. Le contentement est aussi là de rigueur.
Poésie de l’image
Avec tout ce matériel, Wenders ose nous conduire ailleurs, sur des sentiers bien agréables. Dans la lignée d’un autre film remarquable, Paterson de Jim Jarmusch avec Adam Driver, Perfect Days est un poème d’une subtilité et d’une beauté extraordinaires. Il nous entraîne dans une vraie poésie de l’image. Pour appuyer cette démarche, le film se termine, après le générique, avec un terme japonais pour désigner ces rayons de lumière éphémères entre les arbres : komorebi. Dans l’écriture japonaise, le premier caractère de ce mot signifie « arbre ». Les deuxième et troisième symbole signifient « fuir à travers ». Il comporte à la fois le symbole de l’eau et celui de la pluie. Le dernier symbole signifie « jour » ou « soleil ». La définition utilisée pour le film met l’accent sur le fait que ce symbole est spécifique et unique à un moment donné.
Vous le comprenez, j’imagine, Perfect Days est un film extrêmement séduisant où la routine du quotidien se laisse surprendre par l’inattendu et ou le contentement ouvre au bonheur simple mais si réconfortant. Simple comme la vie de ce Tokyoïte… Simple mais si riche, si lumineuse. Perfect Days devient donc parabole nous rappelant que dans un monde qui semble avoir perdu la tête, où tout va trop vite, où l’essentiel se délite au bénéfice du futile, où le sens est si souvent oublié, ce Japonais devient une figure éminemment inspirante, véritable résistant ou héros.
Me reviennent alors à la mémoire ces mots lumineux de l’épitre de Paul aux Philippiens : « Je ne parle pas ainsi parce que je suis dans le besoin. J’ai en effet appris à me contenter toujours de ce que j’ai ». Des paroles sans doute bien connues aussi de Wenders, catholique par son éducation puis converti au luthéranisme sur le tard et qui ont sans doute pu l’inspirer.
On dit souvent que la perfection n’existe pas… et si pourtant elle était là tout autour de nous. S’il suffisait de changer de regard, changer notre rapport à la vie ?