Ses obsèques nationales à Rochefort en juin 1923, l’immense foule rassemblée sur le passage de son cortège mortuaire et le nombre de rues et établissements scolaires portant son nom en pays de Saintonge témoignent de l’engouement et de la ferveur populaires qu’il a suscités.
Bercé de protestantisme
Julien Viaud, alias Pierre Loti est né à Rochefort en 1850 dans une famille protestante. Sa mère, née Texier, est originaire de l’île d’Oléron. Famille austère, entièrement acquise à l’étude et à la lecture de la Bible, Pierre Loti évoquera dans Le roman d’un enfant l’ambiance pieuse dans laquelle il a grandi : « Après ces versets [Mt 23], lus à haute voix, mon père ferma la Bible ; il se fit un mouvement de chaises dans le salon, où nous étions tous assemblés, y compris les domestiques, et chacun se mit à genoux pour la prière. Suivant l’usage des anciennes familles protestantes, c’était ainsi tous les soirs avant le moment où l’on se séparait pour la nuit. À cette époque, si l’on me demandait ce que je voulais être dans l’avenir, sans hésiter je répondais : Je serai pasteur, et ma vocation religieuse semblait tout à fait grande. »
Dessins et articles engagés
Mais le jeune Julien Viaud ne sera pas pasteur. Il aime écrire et correspondre avec sa famille. À 16 ans il part à Paris, fait sa confirmation à l’Oratoire du Louvre et prépare le concours d’entrée de l’École navale, où il est reçu dès l’année suivante. À présent sa vie se passera en mer. Aspirant de marine, puis lieutenant de vaisseau, il sillonnera toutes les mers du monde. C’est en 1872, à Tahiti, que des suivantes de la reine Pomaré le surnomment Loti, du nom d’une fleur de tiaré.
À cette époque paraissent ses premiers dessins puis ses premiers articles sous le pseudonyme de Pierre Loti. La vogue du reportage, alliance de la littérature, du vécu et de l’image sera à l’origine de son succès. Le monde occidental est avide d’exotisme. Il fantasme son Empire colonial. Pierre Loti sera le reporter idéal. À chaque escale autour du monde il écrira un article détaillé, une fiction, des lettres, sinon un livre. Écriture engagée malgré son devoir de réserve militaire, Pierre Loti laisse transparaître une subjectivité indéniable. Il dénoncera souvent l’horreur, l’absurdité et la vanité de la guerre. Un blâme et un rappel en France lui seront notifiés à la suite de ses articles sur la guerre de conquête du Tonkin : « Partout nous broyons à coup de mitrailles les civilisations différentes de la nôtre, que nous dédaignons sans rien y comprendre… À notre suite, quand nous avons fini de tuer, toujours nous apportons l’exploitation sans frein. » Mais paradoxalement il est aussi un homme de son temps, avec des préjugés, des partis pris affectifs. Sa turcophilie indéfectible le plonge parfois dans une posture arménohobe, sinon antisémite.
Installation et reconnaissance
Entre ses voyages, Pierre Loti revient régulièrement dans sa maison natale de Rochefort qu’il a rachetée et fait agrandir par l’adjonction des deux maisons mitoyennes. Cette maison devenue musée est entièrement dévolue tant aux civilisations passées qu’aux civilisations orientales. Car Pierre Loti est un esthète. Féru de sa personne, il entretient sa petite taille par beaucoup de gymnastique, des accoutrements exotiques, de très nombreuses photographies, des liaisons affectives multiples et des relations mondaines éclectiques allant de Mustapha Kemal à son amie Sarah Bernhardt qu’elle nommait « Pierrot le fou » et précéda de trois mois dans la tombe.
À l’âge de 35 ans, le mariage de Pierre Loti n’a rien d ’un coup de foudre. Il répond à ces accointances socio-culturelles propres au milieu protestant bourgeois de la fin du XIXe siècle. Pierre Loti recherche une union au sein de la petite noblesse protestante du Sud-Ouest. La fille d’un notable bordelais, Blanche Franc de Ferrière, sera l’élue. Le mariage a lieu au temple des Chartrons, à Bordeaux. Mais l’union ne sera pas heureuse et très vite le couple se séparera de corps, après la naissance d’un premier fils, Samuel, en 1889.
Écrire et croiser vont constituer le fond de sa vie pendant quarante ans. Des milliers de lettres, d’articles de presse et plusieurs romans, du premier publié, Aziyadé en 1879 au dernier Les Désenchantées en 1906, jamais Pierre Loti ne cessera d’écrire et de correspondre. En 1891, c’est la consécration pour l’écrivain, qui est élu à l’Académie française contre Zola. À 41 ans, Pierre Loti devient le plus jeune immortel de France.
Attaché à l’histoire familiale
Fidèle à Rochefort, puis à Hendaye, Pierre Loti gardera à part dans son cœur l’île d’Oléron, l’île des racines huguenotes de sa mère et la maison de ses chères aïeules.
« Chez grand-mère, au fond d’un placard aux reliques où se tenait le livre des grandes terreurs d’Apocalypse, il y avait aussi plusieurs autres choses vénérables. D’abord un vieux psautier, infiniment petit entre ses fermoirs d’argent. […] Il était ainsi en miniature, me disait-on, pour pouvoir se dissimuler sans peine à l’époque des persécutions. Des ancêtres à nous avaient dû souvent le porter, caché sous leurs vêtements. Il y avait surtout, dans un carton, une liasse de lettres sur parchemin timbrées de Leyde ou d’Amsterdam, de 1702 à 1710, et portant de larges cachets de cire […]. Lettres d’aïeux huguenots qui, à la révocation de l’édit de Nantes, avaient quitté leurs terres, leurs amis, leur patrie, tout au monde, pour ne pas abjurer. »
De cet attachement viscéral à ses origines et à son identité protestantes il écrira Judith Renaudin, un drame historique en cinq actes, véritable hommage familial.
La foi sommeille
Mais celui qui, jeune, se voyait devenir pasteur, perdra progressivement la foi. Après un pèlerinage en Terre Sainte en 1894 – Pierre Loti a passé une nuit au Jardin des Oliviers –, il revient déçu de cette expérience religieuse et écrit à ce sujet : « Personne ne me voit, personne ne m’écoute, personne ne me répond. » Cependant, si sa foi est altérée, elle n’en demeure pas moins sociologiquement très présente : « Où je retrouvais encore le vrai recueillement, la vraie et douce paix de la maison du Seigneur, c’était dans le vieux temple de Saint-Pierre d’Oléron. En somme, ma foi, encore très enracinée, était couverte à présent d’un voile de sommeil. »
Le 10 juin 1923 Pierre Loti décède à Hendaye à la suite de plusieurs attaques d’hémiplégie. Des obsèques nationales ont lieu à Rochefort. Une foule considérable vient lui rendre hommage. Militaires, académiciens, membres du gouvernement et tout Rochefort viennent lui dire adieu. Son cercueil quitte l’arsenal de Rochefort et remonte la Charente par bateau jusqu’au port de Boyardville, sur l’île d’Oléron, puis est acheminé à Saint- Pierre d’Oléron. Le culte d’action de grâce a lieu au temple de Saint-Pierre. Conformément à ses volontés, Pierre Loti est enterré au fond du jardin de la maison des aïeules à Saint-Pierre d’Oléron, qui ne se visite pas.
Par Thierry Mourgue
Note : Une exposition sur Pierre Loti a lieu cet été au temple protestant et au musée municipal de Saint-Pierre d’Oléron.