Certains jours, quand les papillons dans votre cœur et votre esprit se changent en araignées sinistres, ne vous laissez pas déborder. Regardez les tableaux de Pierre Soulages et vous recouvrerez le goût de vivre, tant l’espace y brille comme un reflet d’infini.
Soulages était un athlète – pour peindre de la sorte, encrer de noir des toiles blanches, il faut bénéficier d’une rude et bonne santé – mais c’était avant tout un homme convivial, pas un reclus, pas un ermite.
C’est par le truchement d’un article paru dans La Montagne que Stéphane Berthomieux, cinéaste et peintre, a pris conscience de l’importance et de la singularité de Pierre Soulages. « Après avoir essayé de le joindre par des canaux professionnels, sans aucun succès, je me suis résigné à tenter ma chance à l’ancienne : en lui écrivant une lettre. Trois jours plus tard, cet immense artiste m’accueillit chez lui. Nous avons parlé de tout, je veux dire à la fois de peinture et de rugby, de mille plaisirs. Il était ouvert à l’autre, amical au sens le plus fort du terme. »
Pierre Soulages eut un compagnonnage d’amitié avec deux protestants eux-mêmes très amis : Pierre Encrevé, qui nous a quittés voici déjà plus de trois ans, et l’historien d’art Alfred Pacquement.
On a dit le paradoxe de l’outre-noir : il offre un bain d’espérance alors même que cette couleur est depuis toujours, dans le monde occidental, assimilée à la mort. « Pierre Encrevé, qui rédigea le catalogue raisonné de son œuvre, me disait qu’il avait vu une femme pleurer chaque vendredi devant les toiles de Pierre Soulages, relate encore Stéphane Berthomieux. Était-elle triste ? Emue ? Bouleversée de joie ? Il était impossible de le savoir. Mais les tableaux de Soulages permettent à chacun de libérer les sentiments qui l’animent. »
Un témoignage confirmé par Alfred Pacquement : « Lors de la grande rétrospective qu’avec Pierre Encrevé nous avions organisée au Centre Pompidou, nous avions été étonnés par la façon dont le public recevait sa peinture. Il se dégageait de cette rencontre des émotions de grande intensité. »
Libre, Soulages l’était au point d’échapper aux écoles, aux clivages. « Il refusait d’entrer dans des querelles de chapelles, explique Stéphane Berthomieux. La notion d’abstraction ne lui convenait pas. Bien sûr, il échappait à la figuration. Mais son ambition première était de capter la lumière et de la travailler. »
On dira que telle est l’ambition des peintres, de toute éternité. Mais ce désir prenait un tour particulier pour l’artiste aujourd’hui disparu.
« De même qu’il n’aimait guère être réduit à la couleur noire, de même il rejetait le côté négatif de la notion d’abstraction, souligne Alfred Pacquement. Il situait son œuvre dans un autre univers, en dehors des catégories que la critique d’art invente. Pour lui, l’outre-noir, expression presque géographique – on songe à l’outre Manche, l’outre Atlantique – appartenait à un autre champ mental. Pierre Soulages appartenait bel et bien à l’aventure de la Peinture, mais au-delà… »
L’artiste, bien qu’il ait réalisé les vitraux de l’abbatiale de Sainte-Foy-de Conques, ne se reconnaissait pas de manière explicite dans une famille religieuse.
Pour Stéphane Berthomieux, c’était un mystique, attiré par le cosmos et les mystères de l’univers. « Je n’emploierais pas ce terme, nuance Alfred Pacquement. Cependant, je pense que la puissance de son œuvre peut rejoindre une certaine vision du sacré. »
S’il n’était pas protestant, Pierre Soulages partageait avec ses amis un rapport au monde exigeant, fraternel. Et porté vers la lumière.