Les nappes que l’on dit phréatiques ont fait le plein depuis quelques semaines. Un festin de sol, de sable et de roche. Que faire quand pareil déluge s’abat sur vous ? Flâner parmi les livres, ces amis de toujours dont la présence est un trésor.

Au premier rang des vestiges du jour, Lucien Jerphagnon (1921-2011). Toute son œuvre ou presque est disponible aux éditions Bouquins. Lire la liste publiée sur la « toile » de ses amis de travail, de pensée, de philosophie – Jankélévitch et Ricœur, Orcibal, Paul Veyne, et, couronne de la Grèce antique, Jacqueline de Romilly – permet de se faire une idée du merveilleux personnage qu’était cet homme.

Nous aimons d’abord, des livres de Lucien Jerphagnon, ceux qui parlent d’Histoire, puisque de ce côté-ci penche notre éducation. Pourtant, lorsque la pluie d’orage insiste, grossissant les rivières – il arrive en ce moment que l’on prenne la Maine pour l’Amazone – comment ne pas céder à la tentation de la philosophie ?

« Philosopher ? Le mot, déjà inquiète, pour autant qu’on en ait l’expérience, ne rassure pas, remarque Lucien Jerphagnon. Cela ressemble bien à  une science, encore qu’au sens large – mais qui s’occupe de… ? Et quant aux gens qui en font profession, de nos jours, presque exclusivement des professeurs, on leur assigne auprès du commun des mortels un ministère à part, dont le prestige fascine et agace. »

Jerphagnon, catholique devenu fervent protestant

A la suite, un raisonnement léger mais profond nous instruit, nous encourage à penser. Vous allez dire : « pourquoi ne pas lire un écrivain protestant ? » Nous pourrions vous répondre que Lucien Jerphagnon, précisément, fut paroissien des Yvelines, et cela vous surprendrait de savoir à quel point cet homme élevé dans le catholicisme, qui fut prêtre avant de se marier, d’avoir une fille, était devenu fervent protestant. Mais nous allons préférer vous poser cette question : n’y a-t-il pas quelque volupté particulière à suivre les autres rives que la sienne, à découvrir d’autres façons de ressentir ?

Une ondée s’annonce, féroce. Idéal pour lire ou relire Balzac

Mais oui, ce monarchiste – aux accents douteux quand il parlait des juifs –  pris par le fleuve immense de son œuvre, n’a pas cessé de penser contre lui-même. On croit tout connaître de lui, mais sa « Bible » recèle toujours un ouvrage de lui que l’on n’a jamais lu. « Sur Catherine de Médicis » par exemple. C’est un morceau des Etudes philosophiques – en ce temps-là déjà, les romanciers ne se gênaient pas pour s’instituer grands prêtres du savoir –  est un bijou.

« La réforme religieuse tentée par Luther en Allemagne, par John Knox en Ecosse, par Calvin en France, s’empara particulièrement des classes inférieures que la pensée avait pénétré », nous explique Honoré.

Bon… S’il avait connu Lucien Febvre, ou Pierre Chaunu, son point de vue sans doute eût été plus subtil. Tout le monde n’a pas eu la chance de vivre au vingtième siècle. Mais poursuivons. « A ces différents partis se joignirent des aventuriers, des seigneurs ruinés, des cadets à qui tous les troubles allaient également bien. Mais chez les artisans et les gens de commerce, la foi fut sincère et basée sur le calcul. Les peuples pauvres adhéraient aussitôt à une religion qui rendait à l’Etat les biens ecclésiastiques, qui supprimaient les couvents, qui privaient les dignitaires de l’Eglise de leurs immenses revenus. » Toujours avec Balzac on frise l’édification, mais jamais on n’y tombe, tout simplement parce que l’œuvre prime le reste. Et l’on vous passe, pour vous laisser le plaisir de la surprise, les descriptions du Vieux Paris, formidable promenade en un pays perdu.

Entre deux éclaircies, Pierre-Jean Jouve, Marguerite Duras, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir

Le temps, puisqu’on en parle ne s’arrange vraiment pas. Mai ? Vous dites que nous sommes au mois de mai ? Vous voulez du soleil et de la bonne humeur. Voici Pierre-Jean Jouve, poète, écrivain, né 1887 et mort en 1976 est notamment l’auteur de « La fiancée », « Trois gants », « Gribouille », une série de textes rassemblés dans un volume épatant : « La scène capitale ». Vous pouvez préférer les deux Marguerite, Yourcenar et Duras en un même bal, Zénon chevauchant les petits chevaux de Tarquinia, tandis qu’Hadrien regarde se construire un barrage contre le Pacifique. On n’oubliera pas Beauvoir. Avez-vous lu sa « jeune fille rangée » ? Prototype du livre qu’on cite sans vraiment l’avoir ouvert, on le dit chaque fois que possible, c’est un chef d’œuvre – le grand genre, vif, amusant, piquant.

Retour aux sources avec Patrick Cabanel

Mais le soleil est de retour. Adieu, fantômes de notre jeunesse éternelle, bienvenue cher Patrick Cabanel, historien, protestant que l’on ne présente plus, qui publie cette saison « Le droit de croire » (Passés/composés, 384 p. 23€). Clair, net et joyeux, l’homme de science explique sa démarche en avant-propos : « Telle est l’ambition de ce livre : réfléchir à la manière dont les minorités religieuses sont construit leur difficile destin en France, et la façon dont le pays a bâti sa propre identité, entre fascination de l’unité, détestation de ses déchirures, puis gestion de la coexistence et du pluralisme. » Un programme alléchant dont nous allons parler bientôt, en compagnie de l’auteur.

En attendant, puisque enfin le printemps s’annonce, Hugo Reyne dirige des Concertos de Bach pour flûte à bec et orchestre à cordes. Ne manquez pas son disque : son ensemble se nomme Les Musiciens du Soleil !