Après l’engouement suscité à Sundance l’année dernière, et deux récentes récompenses aux BAFTAs avec le prix du meilleur scénario original et celui du meilleur film britannique de l’année, Promising Young Woman est sans conteste l’un des films outsiders pour les Oscars. Une comédie noire, façon thriller, d’Emerald Fennell, qui regorge d’assurance faisant étinceler la Cassie de Carey Mulligan qui n’est clairement pas une héroïne comme les autres.
Tous disaient que Cassie (Carey Mulligan) était une jeune femme pleine de promesses… jusqu’à ce qu’un mystérieux incident change brutalement sa destinée. Mais les apparences sont trompeuses : elle est incroyablement intelligente, captivante, rusée, et elle mène une double vie la nuit venue. Mais une rencontre inattendue donne à Cassie la chance de rectifier ses erreurs du passé dans cette histoire palpitante et captivante.
Le sous-genre du thriller « viol et vengeance » est un classique cinéma. Généralement, le crime dont il est question sert de catalyseur à la reproduction d’une violence tout aussi brutale pour le reste de l’histoire, que ce soit aux mains de la victime originale ou de quelqu’un de son entourage. Mais si, au lieu d’entrer dans ce processus de représentation, le public ne savait pas ce qu’il est advient de chaque antagoniste rencontré par le protagoniste et que le film adoptait une approche plus destructrice sur le plan psychologique pour les mettre à terre ? C’est ce chemin original que privilégie la scénariste et réalisatrice Emerald Fennell (Killing Eve), et cela s’avère être, à mon goût, l’une des décisions les plus intelligentes qu’un film du genre ait prises.
Carey Mulligan (Orgueil et Préjugés, Une éducation, Drive, Shame, Gatsby le Magnifique, Inside Llewyn Davis, Mudbound, The Dig…)offre une performance exceptionnelle dans le rôle de Cassandra, cette « jeune femme prometteuse », pour paraphraser le titre original du film, qui a abandonné ses études de médecine après la mort de sa meilleure amie Nina. Les détails entourant sa mort restent mystérieux jusqu’à la fin, il est donc préférable d’y aller sans trop en savoir sur son destin. Ce que l’on sait, c’est que des hommes y sont pour quelque chose, et Cassandra s’est fixé pour objectif de faire réfléchir le plus grand nombre d’entre eux à leurs actes. Elle passe donc ses journées à travailler dans un café et se fait passer, la nuit venue, pour une femme ivre dans les bars, attendant que les hommes essaient de profiter d’elle pour leur donner une leçon. Encore une fois, restons vague pour maximiser le suspense de l’histoire.
Le film est extrêmement puissant, et s’inscrit dans une thématique forte de notre époque, avec toutes les questions liées aux violences faites aux femmes, à de multiples niveaux. Le film analyse certains aspects de la situation, sans jamais donner l’impression d’être là pour faire la morale. La façon dont Fennell a élaboré le scénario est magistrale, nous donnant des personnages tout aussi fascinants et divertissants les uns que les autres, sans jamais cesser de nous mettre mal à l’aise de bout en bout. En divisant l’histoire en plusieurs chapitres, il nous est permis, non seulement d’avoir un grand nombre de révélations, notamment sur le passé et les motivations de Cassie pour ses actions, mais cela permet également de garder le processus d’évolution en douceur et d’éviter que les transitions de genre ne soient trop brusques. Passer en effet du focus sur ces hommes pervers aux apparences de gentils tourmentés par la méchante Cassie à une romance qui se construit lentement entre elle et son ancien camarade de classe Ryan (Bo Burnham) jusqu’à la révélation pure et simple de son traumatisme peut sembler une tâche impossible et casse-gueule, pourtant, grâce à une écriture habile qui insuffle un esprit sombre dans un écrin sympathique, Fennell s’en sort avec aisance.
Des rebondissements et des surprises
Il s’agit d’un film à la narration rapide et profondément cinématographique, avec des rebondissements et des surprises. La réussite du projet tient au sens de la mise en scène de Fennell, remarquablement élégant, utilisant néanmoins des couleurs vibrantes dans les décors et les costumes qui font de chaque plan du film une œuvre d’art visuelle. Pour accompagner l’écriture et la mise en scène au scalpel de Fennell, la photographie de Benjamin Kračun est en effet excellente et aide vraiment à donner vie aux lieux parfois oniriques. Les roses et les bleus ressortent magnifiquement de l’écran comme dans un rêve façon chamallow et se juxtaposent parfaitement aux styles plus mornes de la maison des parents. Promising Young Woman est un régal pour les yeux à tous égards. Fennell fait également un excellent travail en choisissant de ne pas montrer certaines des choses que les spectateurs auront sans doute naturellement le plus envie de voir, mais en les abandonnant plutôt à leur imagination et en gardant l’objectif sur ses personnages.
Et alors justement, venons-en à l’interprétation. On aurait du mal à trouver une mauvaise performance sur le CV de Carey Mulligan au cours des 16 dernières années, mais son interprétation ici est digne d’un Oscar et constitue le meilleur de sa carrière. Elle apporte un charme réel et une imposante présence à Cassandra, cette femme à la fois intrigante, effrayante, déterminée et vulnérable. Son interprétation renforce encore l’histoire et l’envie du public de l’encourager alors qu’elle cherche à exposer la nature méchante de ces hommes, un par un, et qu’elle passe de la confiance à la lutte pour se relever sans effort. S’il est évident que Cassie est immensément séduisante, le film se donne néanmoins beaucoup de mal pour montrer qu’il n’est pas nécessaire d’être la femme la plus sexy de la pièce pour attirer l’attention de ces sales types. Aux côtés de Mulligan, les autres acteurs sont d’ailleurs tous remarquables, avec notamment Bo Burnham qui s’avère être un solide acteur romantique sans oublier tous ces fameux « gentils » qui tirent le meilleur parti de leur court temps d’écran en dévorant chaque morceau de dialogue et de décor possible.
Enfin, l’une des meilleures choses du film, qui ne manquera pas de susciter des débats et des conversations sans fin, est sa fin démente. À un moment donné, je pensais avoir percé tous les indices potentiels, j’étais persuadé d’avoir démêlé les mystères, en assemblant intelligemment les morceaux jetés pour créer le rebondissement évident, mais j’ai été ravi de constater que j’avais tout faux, ce qui a rendu le troisième acte encore plus percutant qu’il ne l’était déjà. Mais ne vous inquiétez pas, aucun spoiler ne sortira de mon clavier, mais avec une histoire qui s’avère déjà très imprévisible jusqu’au dernier acte, les spectateurs ne verront sûrement pas venir, eux aussi, ce final génial, émouvant et… angoissant.
Grâce à sa nature merveilleusement subversive, à l’humour noir et à l’actualité beaucoup trop authentique de son histoire et de ses personnages, à la performance exceptionnelle de Mulligan, à l’écriture phénoménale et à la réalisation élégante de Fennell pour ses débuts dans le cinéma, Promising Young Woman est clairement un film brillant du début à la fin. Une histoire qui nous rappelle aussi l’importance fondamentale, dans nos relations humaines, du respect et de la dignité.