Près de six ans se sont écoulés depuis le dernier long métrage du réalisateur roumain Cristian Mungiu, le beau et douloureux Baccalauréat de 2016 (qui lui avait valu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes), mais son retour avec R.M.N. montre qu’il est un cinéaste dont le talent ne cesse de s’aiguiser.

Le titre est l’acronyme roumain de « résonance magnétique nucléaire », I.R.M., comme, à la fois, une référence littérale à un scanner cérébral qui a lieu dans l’histoire et une approche métaphorique beaucoup plus profonde sur ce que le film lui-même se propose de faire. C’est un travail d’observation patient mais douloureux qui expose comment une communauté de personnes en difficulté peut facilement basculer dans la haine.

Quelques jours avant Noël, Matthias est de retour dans son village natal, de Transylvanie, après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il s’inquiète pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, pour son père, Otto, resté seul et il souhaite revoir Csilla, son ex-petite amie. Il tente de s’impliquer davantage dans l’éducation du garçon qui est resté trop longtemps à la charge de sa mère, Ana, et veut l’aider à surpasser ses angoisses irrationnelles.

Quand l’usine que Csilla dirige décide de recruter des employés étrangers, la paix de la petite communauté est troublée, les angoisses gagnent aussi les adultes. Les frustrations, les conflits et les passions refont surface, brisant le semblant de paix dans la communauté.

Cristian Mungiu aime s’inspirer de la réalité pour écrire ses scénarios. Pour R.M.N., ce sont des événements survenus dans un village frontalier en 2020, dans une zone où des travailleurs de Hongrie et d’Allemagne cohabitaient avec des Roumains. Des tensions raciales se sont développées dans ce petit endroit, à l’apparence calme et tranquille, à l’égard d’un groupe de migrants sri-lankais qui travaillaient dans une boulangerie. Les villageois avaient le sentiment que ces étrangers leur prenaient le travail, qu’ils ne voulaient pourtant pas.

Aux tensions souterraines qui sous-tendent l’existence quotidienne du village (l’héritage enfoui du communisme, le poids des traditions ancestrales et des légendes ataviques), s’ajoute bientôt la xénophobie suscitée par la présence des nouveaux migrants, la haine attisée par l’extrême droite, l’inhibition et l’hypocrisie de l’Église, et toutes les peurs générées par l’intégration européenne, la libre circulation des travailleurs et l’insécurité des vieilles identités, incapables d’affronter l’altérité avec des postulats démocratiques et humanistes. Mais cette histoire pourrait se dérouler n’importe où, là où la haine trouve un point d’ancrage.

Mungiu dessine une histoire qui, dans sa première moitié, consolide un protagoniste choral dont les liens internes sont progressivement tissés jusqu’à ce qu’ils conduisent à l’explosion ouverte du conflit. Il révèle lentement ce qui le préoccupe vraiment derrière tout ça : un substrat de xénophobie, de nationalisme et de racisme qui se cache plus ou moins subtilement pour influencer un ensemble de comportements. Un très long plan-séquence de plus de dix minutes, où la caméra est fixée dans un cadre large et général, suit le déroulement d’une réunion. municipale, où le racisme, alimenté par la peur, et la menace de maux plus graves à l’horizon immédiat sont évoqués avec une extrême virulence. C’est un plan qui vaut pour tout le film : avec lui le venin s’inocule, le poison qui mène – irrémédiablement – à l’exclusion discriminatoire et à la répétition de l’horreur. 

À l’image du titre, Mungiu semble vouloir scruter l’imagerie du cerveau pour chercher l’origine des métastases générées par ce cancer du racisme et de la xénophobie dans les profondeurs de nos fonctionnements sociétaux. R.M.N. offre une toile de fond d’une beauté obsédante aux aspects les plus laids du comportement humain. C’est une œuvre courageuse, construite méticuleusement avec la rigueur habituelle du réalisateur et capable d’éclairer un coin sombre de l’humanité. Hélas, la conclusion pessimiste du film suggère que ces hommes, et tous les lieux concernés, sont peut-être en train de mener une bataille perdue d’avance.