Paris, fin du 19ème siècle. Marie est une scientifique passionnée, qui a du mal à imposer ses idées et découvertes au sein d’une société dominée par les hommes. Avec Pierre Curie, un scientifique tout aussi chevronné, qui deviendra son époux, ils mènent leurs recherches sur la radioactivité et finissent par découvrir deux nouveaux éléments : le radium et le polonium.

Avec une véritable présence subtile de la lumière au cœur de chaque scène, au-travers d’un sublime travail photo, qu’il vienne du feu derrière un baiser ou de la mèche d’une lampe qui chauffe des ustensiles de chimie, d’une ampoule d’un réverbère ou d’une fiole de radium… Cette idée du rayonnement est visible et se retrouve par ailleurs amplifié dans de nombreux dialogues. Pas étonnant venant de la romancière graphique et réalisatrice franco-iranienne Marjane Satrapi que l’on avait découvert au cinéma avec le très beau Persepolis, prix du Jury au Festival de Cannes en 2007. Elle se distingue notamment par son refus d’être enfermée dans un seul mode d’expression créative, ses talents impressionnants couvrant l’art, l’écriture et le cinéma. Son imagination indéniable se manifeste souvent de manière subtile comme ici avec cette fiole singulière d’un vert luminescent qui accompagne Curie tout au long du film (et sur l’affiche) tel un motif qui laisse entrevoir le travail dangereux mais fondamental qu’elle a entrepris. Dans de nombreux cas, Curie regarde la fiole en pleine nuit, comme si son travail était la seule lumière dont elle avait besoin dans les moments sombres et incertains.

Radioactive est un film d’époque magnifiquement rendu, qui brosse un portrait convaincant non seulement de Curie mais aussi du contexte plus large dans lequel elle a effectué son travail de pionnière scientifique. Mais Satrapi ne se contente pas de donner vie à une célébrité de nos livres d’histoire et de science. Elle creuse profondément dans le bourbier éthique de l’héritage sombre de certaines des plus célèbres réalisations de Curie. Curie n’a pas seulement été une figure centrale dans la découverte de la radioactivité et de son potentiel, mais elle a inventé le terme lui-même, en découvrant deux nouveaux éléments, le radium et le polonium. Et ce mot « radioactif » suscite une peur immense chez beaucoup. Lorsqu’il est exposé au corps humain, il affaiblit l’ADN. Si on lui donne suffisamment de temps, il peut provoquer la mutation des cellules et les rendre cancéreuses. Mais l’univers contient une multitude d’ironies, dont la moindre n’est pas que le même radium peut aussi aider à cibler et à éliminer le cancer dans le corps humain. Très intelligemment, Satrapi choisit ainsi d’examiner les nombreuses formes et conséquences du radium en les comparant à la personne qui a découvert son existence, Marie Sklodowska Curie. Basé sur le roman graphique Radioactive : Marie & Pierre Curie : A Tale of Love and Fallout de Lauren Redniss, le film utilise les événements majeurs liés au radium pour créer un cadre autour de la propre vie de Curie. Tchernobyl, Little Boy décimant Hiroshima, la découverte du radium comme traitement du cancer et les essais de bombes dans le désert du Nevada sont en corrélation avec les événements majeurs de sa vie. Sa dépression après la mort de son mari s’aligne par exemple sur la catastrophe de Tchernobyl. Ou bien encore, alors que Curie apprend les effets toxiques du radium, les scènes d’un jeune garçon traité au radium pour son cancer lui permettent de surmonter la déception qu’elle ressent.

Comme dans Persepolis, les relations mère-fille occupent le devant de la scène du film de Satrapi. La relation de Curie avec sa mère et ses expériences en tant que mère elle-même façonnent le scénario. Il y a aussi une belle histoire d’amour racontant la cour et le mariage de Pierre Curie (Sam Riley) avec Marie Sklodowska, montrant les meilleurs aspects d’un partenariat engagé mais aussi les tensions existantes. Avec cet aspect de l’histoire, et dans les mains de Satrapi, le romantisme apporte clairement un peu plus de texture au récit. Le film retrace leur relation personnelle ainsi que leur collaboration professionnelle, en mettant particulièrement l’accent sur la personnalité entêtée (et souvent franchement têtue) de Marie, les difficultés rencontrées par Curie pour faire reconnaître officiellement le rôle central de Marie dans leurs recherches, et les défis et scandales auxquels Marie a dû faire face plus tard dans sa vie après la mort accidentelle de Pierre au milieu de la quarantaine. Et là, tout comme Marie, comment ne pas souligner que l’actrice Rosamund Pike (Gone Girl) excelle véritablement.

Satrapi présente donc un biopic assez complet de la célèbre scientifique. Malgré les difficultés, Curie était un personnage remarquable, plein de fougue, et Radioactive contribue à en faire un portrait puissant et réfléchi. La vie, la mort, la science, le mysticisme, l’amour et la haine se mêlent pour révéler les profondeurs d’un génie de renommée internationale, deux fois Nobélisée. Profondément créatif, parfois même expérimental, mais aussi plus globalement, passionnant, réfléchi et indéniablement beau, Radioactive ne ressemble à aucun autre biopic. Film définitivement féministe, qui en dit long sur le pouvoir d’un front uni des femmes mais aussi sur le fait d’aimer et de se laisser aimer, de croire en ses capacités et qui montre que rien n’est simple dans la vie et que les conséquences de nos actes ne sont jamais uniquement noires ou blanches.