Sortie initialement en 2012 (puis 2014 pour la saison 2), la série suédoise Real Humans touche au génie dans sa manière d’aborder de multiples questions fondamentales de l’existence humaine et de la vie en société dont certaines, comme le transhumanisme, sont terriblement d’actualité.

L’histoire se situe dans un monde parallèle où des robots humanoïdes (appelés Hubot – human-robot) sont devenus des machines courantes dans la société. Ils sont très réalistes et configurés de telle sorte qu’ils peuvent répondre à une très large demande. S’adaptant à tous les besoins humains, de la simple tâche ménagère à des activités plus dangereuses voire illégales, et en passant par les relations sexuelles, la société semble en dépendre de plus en plus. Une partie de la population refuse alors l’intégration de ces robots tandis que certaines de ces machines manifestent des signes d’indépendance et de personnalité propre.

Le succès des séries télévisées scandinaves, qui dure depuis déjà quelques années, tient sans aucun doute à l’authenticité du résultat, qui trouve son origine dans le mélange unique et équilibré du genre, de l’intrigue et du style.

L’authenticité, une forme de banalité et du réalisme avec une certaine dose de noirceur et d’ironie constituent certainement les fondamentaux du style scandinave. Cette manière d’opérer permet de dépeindre des personnages de fiction comme des êtres humains ordinaires qui pourraient exister – ou existent réellement – quelque part parmi nous.

De même, des personnages tout à fait ordinaires peuvent devenir les héros des autres. Et c’est exactement ce qui se passe dans Real Humans. Son histoire médite sur des questions sociales universelles et, malgré la thématique d’anticipation, son intrigue est absorbée par le réalisme et la banalité. Nous suivons notamment la famille Engman et quelques hubots, qui tentent d’apporter des changements dans une société où, selon certains, être différent est totalement inacceptable.

Se pose ainsi une question maîtresse de la vie en société : qui peut véritablement définir ce qui est normal ? On peut aussi étirer la question sur la dimension de création… l’homme n’est-il pas aussi le résultat d’un créateur et donc luis aussi une forme de machine ? C’est ainsi, par exemple, que, dans la saison 2, une jeune femme dira que finalement, nous sommes tous à notre manière des androïdes avec une carte mère biologique.

Dans Real Humans, les thématiques abordées, toujours subtilement et sans manichéisme, sont très nombreuses. L’histoire offre une toile de points de vue divers et opposés même parfois sur les problématiques centrales du récit. Le concept de liberté notamment… Outre les hubots qui sont programmés et font tout ce que leurs propriétaires souhaitent, il existe un groupe « libre » qui ont été conçus par David Eischer de manière à ce qu’ils se comportent exactement comme nous : ils ont le libre arbitre et sont capables de développer des sentiments et des désirs. Certains d’entre eux vont alors s’avérer mauvais en voulant exploiter et dominer les autres. Il est donc vraiment temps de se rappeler la question posée dans le titre : Qu’est-ce que cela signifie d’être réellement humain ? Je suppose que nous avons tous quelques idées, mais avons-nous une réponse claire et exacte à cette question ?

Cette ambiguïté est à la base du conflit qui se déroule dans la série. Une partie de la population n’aime pas les hubots, et voient en eux une décadence de la société et un danger ultime. Ils volent leur travail, ils sont partout… (toute ressemblance avec…). Certains veulent donc les détruire ou les exploiter à des fins honteuses. Derrière ce fait d’être possédé, vendu, acheté et exploité – nous pouvons voir évoqué les victimes du trafic organisé d’êtres humains et d’organes, mais aussi des questions liées à l’immigration d’un côté et à la xénophobie de l’autre.

Derrière ce combat qui s’organise, le scénariste a glissé, sous forme de métaphores, tous les thèmes qui secouent les nations européennes : la discrimination, le rapport au travail, la différence de classe, l’égalité hommes – femmes, la place des minorités ou la liberté sexuelle. Ces questions graves ne sont pas abordées frontalement, mais nous pouvons y trouver des allusions, des résonnances certaines. Mais Real Humans ouvre malgré tout à une certaine espérance. Car, il y a aussi ceux qui se battent pour l’égalité et les droits des hubots et certains robots humanoïdes en quête également d’un code leur permettant de se libérer de leur condition de machine, pour envisager un avenir sans domination humaine et une égalité de droits avec les humains…

Cette demande de « vivre ensemble » est d’ailleurs au centre de la série que Lundström a rendue plus complexe dans le récit et plus politique dans son approche au fur et à mesure qu’avance l’intrigue et surtout avec la seconde saison.

Ce que nous pouvons constater aussi c’est qu’un nombre relativement important d’individus humains (et importants pour l’histoire) meurent au cours des deux saisons de la série. Les gentils et les méchants meurent aussi, et nous arrivons ici à un autre point de l’existence humaine : la mort. Nous savons tous que nous allons mourir un jour, mais devons-nous tous mourir ? Real Humans n’est pas là pour répondre, mais la série nous fait pénétrer dans un questionnement autours des enjeux liés au transhumanisme. Pour éviter la « mort réelle », on peut choisir éventuellement d’être cloné et vivre comme un hubot heureux pour toujours. Mais la vie est-elle si belle pour vivre éternellement, même si ce n’est que comme une machine ? Qu’est-ce qui rend quelqu’un ou quelque chose réellement humain : l’âme ou le cerveau ?

Real Humans est vraiment fascinant et même sans doute l’une des séries qui offre la plus belle réflexion sur l’être humain.

Elle dépasse de très loin les trois saisons de sa copie anglo-américaine Humans. Seul regret justement, l’absence d’une troisième saison dans l’original faute d’audience suffisante à sa diffusion dans son pays de création, et donc une fin qui n’en est pas véritablement une.

> Real Humans est disponible en intégralité sur arte.tv, et est diffusée depuis le 21 juillet 2022 sur Arte chaque jeudi soir.