La cancel culture s’attaque désormais aussi aux contes. Qu’est-ce que la cancel culture ? Un mouvement venu des États-Unis qui dénonce tout ce qui installe les inégalités, de manière insidieuse, dans nos mentalités. Il appelle, par exemple, à déboulonner les statues de Colbert parce qu’il fut à l’origine du code noir qui légalise l’esclavage. Quel rapport avec les contes de fées ? C’est que cette « culture de l’annulation » cherche à gommer tout ce qui pose problème, également dans les contes. L’idée étant que les injustices non dénoncées s’inscrivent dans l’inconscient collectif et apparaissent, de fait, légitimes. La polémique du moment se focalise sur la scène du baiser dans La Belle au bois dormant. Plongée dans un sommeil de cent ans, la princesse s’éveille après le baiser du prince charmant. Or ce baiser est non consenti. Il est dénoncé comme un symptôme de la culture du viol, du moins le marqueur d’une société qui n’exigerait pas le consentement des femmes. Alors vraiment, nous va-t-il falloir prendre la plume pour réécrire tout ce qui n’est pas politiquement correct, à nos yeux, dans les contes du XVIIe ou XIXe siècle ? Ma réponse est claire : non. En revanche, le conte nécessite une relecture. Lire l’histoire avec son enfant est la première étape. En parler est la seconde étape.
On ne réécrit pas l’Histoire
Oui, un conte, tout comme un texte biblique et n’importe quel écrit sorti de son contexte, nécessite interprétation et discussion. Il est bon de ne pas cultiver la naïveté de nos enfants en les exposant, par le récit, à des injustices ou des angoisses qui les font grandir et mûrir lorsqu’elles font l’objet de débats. Non, il n’est pas normal d’embrasser quelqu’un sans son consentement. Non, il n’est pas normal qu’un père veuille épouser sa fille (Peau d’âne). Non, il n’est pas normal que des parents abandonnent leurs enfants pour raison économique (Hansel et Gretel), mais il est bon que des parents parlent avec leurs enfants de l’injustice qui secoue le monde en trouvant les mots et les images adaptés à leur âge. Oui, il est bon de les exercer à repérer l’injustice et de leur proposer de réécrire l’histoire ; celle qu’ils ont entre les mains, comme celle de leur vie. Il était une fois un monde, tout sauf rose, où l’on en voit de toutes les couleurs et broie du noir. Notre rôle d’éducateur n’est pas de cacher le mal, mais d’aiguiser le regard des enfants pour qu’ils sachent le repérer, dénoncer et surmonter.
Certains rétorqueront qu’il est plus simple de jeter ces livres aux oubliettes et d’en proposer des versions plus clean. Je ne suis pas de cet avis. Pour la simple et bonne raison qu’on ne réécrit pas l’Histoire. Pour s’en convaincre, voici un exemple plus ecclésial et contemporain : Madame N. appelle son pasteur pour lui demander de rayer le nom du parrain de son enfant parce qu’elle ne s’entend plus avec lui. Impossible, chère Madame. C’est un fait. Ce baptême a eu lieu et le parrain y a assisté en tant que parrain. Il se peut qu’aujourd’hui un différend vous oppose, mais ceci a bien eu lieu. Le pasteur pourra glisser une note complémentaire dans le registre, mais ne pourra en aucun cas effacer un événement qui a bien eu lieu. De même que Monsieur N.N. ne peut réclamer qu’on barre le nom de la femme qu’il a épousée il y a dix ans parce qu’il en est séparé et en aime une autre. Impossible. Ce mariage a eu lieu. Le sentiment a évolué, mais je ne peux nier le passé. Les enfants nés de telles unions en sont les témoins vivants. Mais ça, c’est une autre histoire… qui prouve que la vraie vie n’est pas un conte de fée et qu’il faut des mots pour dire les maux, hier comme aujourd’hui, dans la fiction comme au quotidien.