Face à la déferlante Star Wars IX, une autre option s’offre généreusement à ceux qui veulent se faire une bonne toile en cette fin d’année : Emma Peeters, deuxième long métrage de la cinéaste belgo-américaine Nicole Palo, ce mercredi 18 décembre. Un portrait décalé d’une jeune femme en quête de sa place dans le monde.

Emma Peeters va avoir 35 ans. Après des années de galère à Paris à essayer de devenir actrice, elle décide de se suicider pour réussir quelque chose dans sa vie. Elle fixe la date à la semaine suivante, le jour de son anniversaire. Pour le meilleur et pour le pire, elle rencontre Alex Bodart, un employé de pompes funèbres un peu bizarre qui va proposer de l’aider…

Emma Peeters est une comédie noire rafraîchissante qui mêle frivolité et astringence, réussissant le pari compliqué d’être une comédie vraiment charmante sur des thèmes très sombres. Une réussite qui s’appuie notamment sur un parfait et talentueux duo d’acteurs composé de Monia Chokri (l’une des comédiennes québécoises les plus en vue de ces dernières années découverte chez Denys Arcand puis Xavier Dolan), qui se glisse parfaitement dans ce personnage décalé évoluant ainsi dans un registre complètement différent des films d’auteur habituels. Et, face à elle, dans le rôle de l’amoureux naïf, le touchant Fabrice Adde (découvert par Bouli Lanners en 2008 dans Eldorado). Pari gagné parce qu’aussi la scénariste et réalisatrice Nicole Palo produit ici un excellent travail s’apparentant parfois à celui d’une agile funambule. Car on est là clairement face à un sujet potentiellement traître qui nécessite d’avancer sur la pointe des pieds pour éviter d’être grossière ou même de banaliser le sujet grave du suicide. Savoureux usage de dialogues à double sens, d’humour noir et d’une réalisation elle aussi décalée lui permettent de progresser sur cette corde raide. C’est ainsi que les quiproquos entre Emma et ses parents provinciaux, sur ses réelles intentions de « partir », par exemple, sont goûteux. On pense naturellement aussi aux scènes avec Bernadette interprétée par Andréa Ferréol, une vieille actrice timbrée qui a connu son heure de gloire (je parle de Bernadette bien sûr), à qui Emma rend visite. C’est elle qui prononcera cette délicieuse phrase : « Rien ne sert d’arroser une plante morte, mieux vaut planter de nouvelles graines… ». C’est d’ailleurs sans doute là qu’il faut trouver la clé de l’histoire sur ce sujet gardé trop souvent comme tabou. Ou aussi dans cette cynique signature qui accompagne le titre sur l’affiche : « Dans sa vie, elle n’a rien fait de remarquable… ». Car Emma ne compte pas aller jusqu’à 50 ans pour regarder son poignet et voir quelle montre y est accrochée. C’est bien à 34 ans et des poussières que l’évaluation sera faite. Et c’est là que le film est aussi inversement remarquable en nous donnant de réfléchir nous-même à ce qui donne sens à nos existences, et à constater par là-même que le temps se raccourcit vite dans les générations actuelles pour décider d’établir un constat qui se pose bien trop vite et bien trop mal…  

L’écriture est magistrale, il faut le dire, pour trouver le juste équilibre et ne jamais se moquer de quelqu’un en situation d’échec suicidaire, sans approfondir non plus outrageusement les raisons inutiles, dans ce genre d’exercice, pour lesquelles Emma se sent si désespérée au point de vouloir mourir. « Ce projet a germé il y a sept ans déjà, explique Nicole Palo, à une période de ma vie où je n’aboutissais à rien. Après mon premier long métrage, les choses ne se sont pas du tout enchaînées naturellement, au point que j’avais l’impression de ne pas exister. Et j’ai imaginé ce personnage qui envoyait tout balader à cause de la frustration. Ce film, je l’ai d’abord pensé comme un exutoire : maltraiter mon personnage avec ironie et lui faire subir plein de choses m’a fait un bien fou. Je ne l’ai pas écrit que pour moi cependant, mais en me disant aussi qu’il pourrait servir de pilule thérapeutique pour tous ceux n’ayant pas eu la vie dont ils avaient rêvé. Et j’ai voulu traiter ce sujet comme une comédie parlant de l’idée du suicide plutôt que du suicide. Que se passe-t-il si l’on sait que l’on va mourir le lendemain ? On se sent libéré, en fait. Emma Peeters est plus un film sur le lâcher-prise que réellement sur le suicide. »

Les gens compareront facilement sans doute ce film, avec raison, au Fabuleux destin d’Amélie Poulain pour le côté précisément décalé du scénario et pour ses séquences de fantaisie tangentielle qui rendent hommage ici à Bergman, au cinéma muet ou encore à la Nouvelle Vague. La réalisatrice précise à ce sujet qu’« Il y avait quelques idées de références au cinéma dans le scénario, mais nous en avons rajouté au montage pour créer l’impression qu’Emma fantasme sa vie. Cela contribuait à ce qu’on ne prenne pas l’idée de suicide trop au sérieux. Nous avons décidé de construire tout un parcours d’images de films dans le film ». Le Paris idéalisé dans lequel vit Emma rappelle également celui d’Amélie. Seule notre héroïne est beaucoup plus sombre que le personnage principal joué par Audrey Tautou. 

Audace et finesse donc de la part de la réalisatrice, dont l’intelligence est d’avoir inséré le suicide dans ce qui reste aussi une vraie comédie romantique. Emma Peeters est pétri d’une énergie qui ne lui fait connaître aucun temps mort même quand la mort justement se tapisse dans l’ombre constante de l’héroïne. On sourit, on rit, on est ému… on se laisse prendre au jeu de la dérision douce, et on avale allègrement cette « pillule thérapeutique » qu’évoque Nicole Palo dans sa note d’intention. Difficile alors de ne pas être totalement charmé par ce petit monde d’Emma Peeters