Le talentueux écrivain et biographe irlandais Michael Feeney Callan a passé près de 14 ans à l’interviewer ainsi que près de 300 membres de sa famille et de ses collègues pour rédiger le récit tentaculaire de sa vie. Une biographie à l’ancienne en somme, à la façon d’un enquêteur passionné qui rencontre face à face et se plonge dans les journaux et la correspondance personnelle et autres documents permettant de raconter son sujet.

On se régale alors avec les chapitres qui décrivent l’enfance californienne de Redford. Né à Santa Monica le 18 août 1937, il est l’enfant unique d’une mère aimante mais malade et d’un père travailleur mais émotionnellement absent. Redford a des origines irlandaises des deux côtés et c’est à cela qu’il attribue un côté sauvage et rebelle. Il tombe amoureux du cinéma très jeune, allant jusqu’à voir Bambi 23 fois et, un jour, se glisser sur les genoux de sa mère dans un cinéma de Santa Monica pour chercher à atteindre la source magique de la lumière – une métaphore facile et commode, mais tout à fait sympathique pour évoquer sa vie d’adulte, s’il en est une. Mais tout ne fut pour autant simple non plus. Du côté des épreuves qui façonnent aussi une vie, on le sait, Callan nous éveille sur le fait que Redford, dans sa jeunesse, a été frappé par la polio et est resté paralysé pendant un certain temps. Il sera aussi marqué par la perte de son premier enfant avec sa jeune femme Lola van Wagenen, au milieu des années 80, avec qui il restera marié 26 ans. Du côté religion, c’est par elle qu’il sera aussi initié à la foi mormone pendant une période de sa vie, dont il se détournera clairement plus tard.

Il eut globalement du mal à trouver sa place dans le monde. Après avoir fréquenté pendant un certain temps des gangs de rue de Los Angeles et volé quelques voitures, Redford, alors adolescent, s’enfuit en Europe pour étudier la peinture et dérive pendant un certain temps entre Paris, Rome et le sud de la France. C’est le métier d’acteur qui lui donnera finalement un but et, après avoir étudié l’art dramatique à New York, il sera repéré par un agent et commencera à travailler régulièrement sur scène et à la télévision. Plus tard, face à la célébrité, Redford s’est révélé être un gestionnaire très avisé de sa propre carrière. Il a créé sa propre société de production dès 1969 et a ensuite choisi ses films avec beaucoup de soin. Il n’a jamais eu peur de refuser des rôles et, tout au long de sa carrière, il a su dire non à d’énormes projets – de Superman à Barry Lyndon en passant par Apocalypse Now – pour lesquels il sentait instinctivement qu’il n’était pas bon.

Dès qu’il en a eu les moyens, Redford a acheté un terrain dans les terres sauvages de l’Utah, à l’ombre de la formidable chaîne de montagnes Wasatch. Il y a construit une impressionnante maison qui allait devenir sa retraite rurale et celle de sa famille, ainsi que son bastion contre la folie d’Hollywood.

Le souci du détail qu’offre Michael Feeney Callan dans les 765 pages de cette biographie est évident et impressionnant. Elle est en plus agrémentée de trois cahiers de photos personnelles et totalement inédites prêtées tout spécialement par Redford. Dans ses meilleurs moments, comme dans le brillant chapitre sur le tournage des hommes du président, le livre offre un véritable aperçu de la vie professionnelle d’une icône du cinéma.

Acteur, visionnaire, homme d’affaire, activiste politique et écologique, l’auteur nous montre combien Redford est finalement bien plus que tout cela, se révélant, à tout moment, de sa jeunesse à aujourd’hui (à bientôt 86 ans), plus que disposé à lancer les dés et à risquer beaucoup pour les choses qui comptent pour lui, comme tout particulièrement ce fut le cas avec le Festival de Sundance, prestigieux festival de cinéma qui défend le cinéma indépendant américain depuis 1978. Un trait de caractère indéfectible qui lui offrira ses plus beaux succès mais qui lui jouera aussi des tours de multiples façons.

Mais c’est clairement la dynamique qui se dégage entre Redford et l’acteur/réalisateur Sydney Pollack qui constitue l’aspect le plus stimulant du livre à mes yeux. Ensemble, ils ont réalisé certains des plus grands films de leur époque, de Nos plus belles années à Out of Africa, en passant par Les trois jours du Condor, Jeremiah Johnson, le film préféré de Redford, et le sous-estimé Havana. Leur collaboration parfois compliquée, mais leur respect mutuel et leur sens permanent de la compétition – il semblerait que Pollack était jaloux du succès de Redford et de son Oscar pour Des gens comme les autres. On dit aussi que Redford était tout aussi jaloux du Tootsie de Pollack – donnent au livre une vraie force et même une certaine dimension émotionnelle particulièrement touchante.

Un livre qui trouvera clairement sa place, naturellement, dans toute bonne bibliothèque de cinéphile, mais qui pourra aussi intéresser bien plus largement, tant le sujet et la personnalité sont vastes, comme un diamant à découvrir sous ses multiples facettes.

  • Robert Redford : biographie, Editeur : La Trace