Inspiré de faits réels, Scandale nous plonge dans les coulisses d’une chaîne de télévision aussi puissante que controversée. Des premières étincelles à l’explosion médiatique, découvrez comment des femmes journalistes ont réussi à briser la loi du silence pour dénoncer l’inacceptable.

En juillet 2016, Roger Ailes, le PDG apparemment tout-puissant de la Fox News, qui a connu un énorme succès pendant plus de 20 ans, a été licencié par Rupert Murdoch après que de multiples plaintes pour harcèlement sexuel aient été déposées contre lui. Sa chute a été rapide. Le 6 juillet, l’ancienne présentatrice de Fox News, Gretchen Carlson, a intenté une action en justice contre Ailes personnellement, alléguant qu’elle avait été licenciée pour avoir résisté à ses avances. D’autres femmes du passé d’Ailes se sont manifestées et une enquête interne a été lancée. Le 19 juillet, la célèbre présentatrice de Fox News, Megyn Kelly, a déclaré aux enquêteurs qu’Ailes lui avait également fait des avances sexuelles. Le 21 juillet, le scandale oblige Fox News à s’en débarrasser et la chaîne lui verse 40 millions de dollars de compensation. Souffrant d’hémophilie, il meurt moins d’un an plus tard, après une chute, à l’âge de 77 ans. Ces événements, qui ont précédé d’un an l’exposition de Harvey Weinstein en octobre 2017 et la création du mouvement #MeToo, ont eu un impact énorme aux États-Unis et ont très vite fait l’objet de livres, de documentaires et même d’une série télévisée l’année dernière, The Loudest Voice, dans laquelle jouaient Russell Crowe et Naomi Watts. Voici maintenant Scandale, un long métrage qui reprend l’histoire, et pour lequel Charlize Theron, qui joue le rôle de Kelly, vient d’être nominée aux Oscars comme meilleure actrice et Margot Robbie pour celui de la meilleure actrice dans un second rôle.

Le scénario est de Charles Randolph, qui a remporté l’Oscar du meilleur scénario adapté pour The Big Short, et Scandale suit le même style explicatif, avec des inserts et des ruptures de cadre audacieux. Le directeur de la photographie, Barry Ackroyd, qui a également participé à The Big Short, utilise la même approche de vues subjectives dynamiques et de suivi quasi-documentaire. Avec Jay Roach, ce sont les femmes qui prennent le récit en main. Notre guide principale est Megyn Kelly et c’est d’ailleurs elle qui ouvre naturellement l’histoire. Elle commence par donner au spectateur un aperçu de tout ce qui est impliqué dans le travail de Fox News, et de la manière dont est divisé le bâtiment où tout le travail est effectué. C’est un prologue rapide mais utile, qui nous met à la porte des événements qui ont causé beaucoup de bouleversements dans l’industrie de l’information et du divertissement. Theron, à l’aide d’un brillant travail de maquillage et de quelques prothèses, joue Megyn avec beaucoup de ressemblance et d’audace. À ses côtés, Nicole Kidman interprète Gretchen Carlson, la journaliste et présentatrice qui a été la première à dénoncer Roger Ailes, inspirant d’autres femmes à raconter leurs histoires. Kidman est tout aussi remarquable dans son rôle, et je pense qu’elle mérite encore plus d’attention, précisément en raison du rôle prépondérant que Gretchen a joué dans toute l’affaire, en osant poursuivre l’une des plus grandes figures de la télévision avec ingéniosité et courage. Et enfin, s’ajoute Kayla, dont la nature est fictive, mais basé sur plusieurs femmes réelles qui ont également dénoncé Ailes par la suite.

Ce personnage est une ingénue complexe, jeune productrice évangélique, magnifiquement interprétée par Margot Robbie, avec un optimisme d’abord naïf, puis une ambition manipulatrice, et enfin la déception, le dégoût et même le traumatisme. Sa grande scène avec le répugnant Roger (John Lithgow bardé de multiples prothèses. C’est d’ailleurs l’autre nomination aux Oscars que celui du meilleur maquillage et de la meilleure coiffure, et il est mérité) est sans doute la plus troublante du film, et démontre de façon concluante que certains des harcèlements sexuels les plus dommageables n’ont pas besoin d’un contact physique réel. Nous sommes dans un monde où les apparences font tout. Le cliché préféré d’Ailes est que la télévision est un média visuel. Il la brandit comme si l’argument suprême chaque fois qu’il harcèle une de ses victimes potentielles pour qu’elle montre sa silhouette, ses jambes et un peu plus si possible. C’est comme s’il inspectait un cheval de course – bien qu’un cheval de course susciterait probablement plus de respect. Robbie montre ici pourquoi elle est l’une des actrices les plus prometteuses du moment, passant de cette joyeuse naïveté qu’elle laisse paraitre sur son visage à une terreur profonde qui la fait trembler de peur. Il est impossible de ne pas ressentir sa confusion, et Roach profite de cette grande capacité à communiquer ces émotions avec ses yeux, rendant le spectateur mal à l’aise d’avoir été témoin de l’abus de pouvoir.

Le thème du harcèlement sexuel, qui reste tant au cœur de l’actualité et fait bien des émules, représente clairement un sujet délicat auquel le réalisateur s’attaque ici admirablement. Scandale est plein d’énergie et étonnamment divertissant – même parfois drôle. Mais quand les moments difficiles arrivent, le film devient courageux, tendu et percutant. Le résultat final est donc très bon même s’il n’apporte pas beaucoup de lumière nouvelle sur l’histoire, mais il bénéficie d’une direction solide de Roach, d’un scénario croustillant et mélodramatique de Charles Randolph, d’une conception de production remarquablement soignée, surtout lorsqu’il s’agit de recréer l’apparence et l’atmosphère des bureaux et des studios de la chaîne Fox News Channel, et des plus qu’excellentes performances de Theron, Kidman et Robbie. Et si les fans de la chaîne et de l’actuel président (qui est aussi l’un des acteurs par les images d’archives utilisées) n’apprécieront certainement pas Scandale et ce qu’il raconte avec tant de force, il ne fait aucun doute que les batailles qui ont commencé ici se poursuivent à un rythme soutenu et que d’autres noms prestigieux vont certainement tomber.

Au final, peu importe que nous ne soyons pas ici forcément au fait précisément de ces personnages des médias US, Scandale est un film qui capture puissamment un tournant clé de l’histoire sociale de notre époque.