Avec son troisième long-métrage, Semaine sainte, présenté dans la section Forum de la Berlinale 2024, le réalisateur roumain Andrei Cohn nous invite à nous interroger sur notre (in)humanité.
Au début du 20e siècle, dans un petit village roumain, les tensions entre Leiba, un aubergiste juif, et son employé chrétien, Gheorghe, atteignent leur point de non-retour lorsque ce dernier promet de venir régler ses comptes la nuit de Pâques…
Adaptation très libre (avec une fin et un message très différent) d’un court roman, Un Cierge de Pâques, écrit par le roumain Ion Luca Cargiale, Semaine Sainte, est un film à dimension métaphorique sur l’époque où nous vivons.
L’histoire d’un homme qui cherche, coûte que coûte, à reprendre le contrôle de son environnement, face à un enchainement de réactions d’hostilité, d’intimidation, enracinées dans ce qui ressemble à un terreau d’antisémitisme et surtout de croyances ou superstitions religieuses.
Une histoire qui a la particularité de s’inscrire dans un temps défini, le récit d’une semaine, qui se déroule précisément le temps de celle-ci et se clôt lorsqu’elle se termine. Le réalisateur précise néanmoins qu’« Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’antisémitisme ou de sionisme en Roumanie mais de comment les individus affrontent l’Histoire. Le reste constitue un contexte qui conditionne leurs décisions et leur capacité à tracer leur propre chemin ».
Le réveil de nos peurs, le risque de la haine
Andrei Cohn soulève de façon assez générique la question des conflits qui, après une forme d’obscurcissement du 20e siècle, sont revenus pour réveiller nos peurs. Avec eux, une certaine innocence perdue permettant d’observer les mécanismes qui sous-tendent la naissance de la haine.
Cohn est extrêmement clair sur ses intentions. Il dit : « Mon film explore divers thèmes, parfois intentionnellement, parfois non, mais il parle surtout de ce cercle vicieux de la haine que nous ne savons comment briser. Il réfléchit à cette propagation du mal ». Je pense que le regard empathique propre au cinéma, dans ce film, peut faire revivre la veille d’un pogrom, le moment où quelqu’un – avant l’internet, la télévision ou la photographie en couleur – prend la décision de partir pour un endroit dont il sait seulement que « le lait et le miel » sont censés y couler, ou dépeindre le passage de la peur de la mort à l’intention meurtrière. J’espère éveiller les doutes et laisser les gens formuler librement leurs propres questions. »
Une anatomie de la violence
Dans sa volonté de comprendre les racines de la haine, et notamment celles qui ont mené vers l’Holocauste, Semaine sainte entre rapidement en résonance avec l’une des œuvres les plus fortes du cinéaste allemand Michael Haneke, Le Ruban blanc, mention spéciale du Jury œcuménique au Festival de Cannes en 2009. Nous pouvons observer un regard similaire, sans aucun jugement, mais pétri d’interrogations sincères, qui questionne les tenants et les aboutissants, pour conduire vers une anatomie de la violence. Comment, par exemple, des voisins ont pu parfois, passer de simples querelles (ici, entre autres, des affaires de nourriture ou l’aigreur d’un vin) à une spirale meurtrière.
Une peur où l’ambivalence demeure
Évidemment, au cœur, tel un cliffhanger latent prêt à faire basculer dans un sens ou dans l’autre, c’est la peur qui domine les pensées et les comportements. Une peur ou l’ambivalence demeure et conduit, elle aussi, au questionnement. « Je crois que la peur ne provient pas seulement de faits objectifs et que c’est là que naît ce cercle vicieux de la haine dont je parlais. Cette peur irrationnelle, à partir du moment où elle est accueillie, resserre son étau de jour en jour de sorte qu’on ne puisse discerner le réel du fictif, du subjectif. Je ne saurais dire si la paranoïa de Leiba est fondée sur de vrais ou de faux prétextes. » reconnait le cinéaste, et il ajoute que « la pression exercée par la peur a souvent un effet plus grand encore que n’en a la réalité. Et lorsque des choses terribles se produisent, on finit par trouver des justifications qui ne sont pas toujours satisfaisantes. »
Ce nouveau film d’Andrei Cohn a certainement le mérite de nous interroger sur la part d’ombre qui existe en chacun de nous. Un film qui se présente alors à la fois comme un souvenir tragique mais aussi comme un avertissement sanglant pour l’avenir. Les monstres du passé ayant la peau dure et la capacité intrinsèque à ressurgir avec parfois plus de vaillance encore…