Sofia Falkovitch dévoilera le riche répertoire du chant sacré juif à la cathédrale et à la grande mosquée de Strasbourg.

Des synagogues du monde entier invitent Sofia Falkovitch à officier pour les grandes fêtes juives. La soliste mezzo-soprano, ambassadrice de la musique juive, participe aussi à de nombreux concerts interreligieux. « Lors d’un office, le cantor est le cœur et le rabbin la tête », résume-t-elle. Le cantor anime la majeure partie de l’office a capella, parfois des journées entières comme pour les fêtes de Yom Kippour. « Sa responsabilité est d’établir une ambiance qui permet la compréhension des prières », explique Sofia Falkovitch. « Il lui faut être capable de faire vivre les textes dans le présent », ajoute la chanteuse pour qui « une religion immobile ne correspond pas à la vie ». Son rôle est comparable à celui d’un chef de chœur : il entraîne par son chant les prières de l’assemblée. « Il vise l’équilibre entre ses chants en solo et ceux repris par tous les fidèles, pour passer de l’un à l’autre sans indication, de façon fluide. »

Face à cette passionnée qui bouscule tous les codes, les tentatives de déstabilisation et les préjugés sont tenaces. « Ils se dissipent toujours après mes interventions », positivet- elle cependant. En France, seules les synagogues progressistes la laissent officier, pas les traditionnelles. « Les communautés juives y sont assez conservatrices vis-à-vis des femmes », regrette-t-elle. Voir une femme chanter dans une synagogue est encore tabou. Dans la tradition juive, les femmes ne sont pas autorisées à chanter dans un lieu de culte.

Une interprétation religieuse que refuse Sofia Falkovitch. « Dans le judaïsme, cette interdiction n’existe pas. Il ne s’agit que d’une convention culturelle. Ses tenants s’appuient sur une citation talmudique qui n’est au départ qu’une opinion parmi d’autres et qui considère que la voix de la femme représente sa nudité et qu’il serait impudique de l’écouter chanter », rapporte-t-elle. Une lecture qui justifie dans les milieux les plus conservateurs une exclusion des femmes des fonctions liturgiques. « Il est futile et triste que l’on fasse cette séparation entre hommes et femmes au lieu de laisser chacun donner le meilleur de lui-même, défend la pionnière. On se prive d’une richesse. » Mais Sofia Falkovitch veut rester optimiste. Les synagogues traditionnelles de Chicago, de Luxembourg et de Fribourg-en-Breisgau l’ont déjà accueillie. « Les mentalités progressent lentement. » 

Une démarche de transmission

Élevée à Moscou puis à Berlin, Sofia Falkovitch a travaillé sa voix d’exception dès ses 14 ans, repérée et encouragée par sa grand-mère ancienne cantatrice. Ses talents l’ont menée au Canada pour dix ans d’études, avant qu’elle intègre en 2009 le premier programme germano-israelien d’études cantoriales ouvert aux femmes, pour cinq ultimes années de formation. Déjà polyglotte et familière du yiddish, elle y a appris l’hébreux et l’araméen. Préoccupée depuis l’enfance par des questions théologiques, l’art cantorial venait enfin donner tout son sens à sa maîtrise vocale.

Mais la liturgie n’était pas une fin en soi. L’éducation et les nombreux voyages de la jeune femme ont aiguisé son ouverture. « Je n’ai jamais souhaité être cantor attachée à une synagogue en particulier », souligne-telle. « J’étais d’abord dans une démarche de transmission. À mon sens, le patrimoine de la musique juive appartient à toute l’humanité. » À côté de ses fonctions liturgiques, la cantor privilégie ainsi les projets interreligieux et se produit fréquemment dans des cathédrales, mue par une conviction : « La musique peut servir à créer des ponts. » À Strasbourg, Sofia Falkovitch va se produire pour la première fois dans une mosquée. Une invitation pour laquelle elle se dit « pleine de gratitude ». « Je vis pour ces échanges et ces rencontres », confie-t-elle. « Ça va être un moment très fort émotionnellement. »