Claus Drexel réalise Sous les étoiles de Paris, un aperçu de celles et ceux qui vivent une existence en marge au cœur de Paris, avec Catherine Frot et l’impressionnant Mahamadou Yaffa. Délicate et sincère, cette fiction nous accroche grâce aux superbes interprétations de ce magnifique duo d’acteurs, ainsi qu’au ton calme et émotionnel que le cinéaste a su créer. Il peut être encore vu dans certaines salles mais il sort également en DVD/BRD et VOD (Diaphana Edition vidéo), ce mardi 15 juin.
Depuis de nombreuses années, Christine vit sous un pont, isolée de toute famille et amis. Par une nuit comme il n’en existe que dans les contes, un jeune garçon de 8 ans fait irruption devant son abri. Suli ne parle pas français, il est perdu, séparé de sa mère… Ensemble, ils partent à sa recherche. À travers les rues de Paris, Christine et Suli vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser. Et Christine à retrouver une humanité qu’elle croyait disparue.
C’est le quasi silence de Christine pendant les quinze premières minutes de Sous les étoiles de Paris, qui interpelle et participe à la compréhension de la situation dramatique de cette femme. On la suit dans son observation de la vie urbaine trépidante qui l’entoure, seule, dans un abri de fortune sous un pont mais aussi dans son mutisme qui démontre son manque de connexion avec les autres et même ceux qui, pourtant, lui ressemblent. Le langage corporel et l’expression de Frot sont impressionnants, capturant une femme fermée à la société, déconnectée des nombreuses vies qui l’entourent dans les rues animées. Son manque de communication est également illustré par sa réticence à s’engager avec Suli au début, mais elle est finalement brisée par sa persistance avant que leur lien ne finisse par s’épanouir.
Le grand bonheur de Sous les étoiles de Paris réside dans les moments calmes où la relation entre Suli et Christine se forge. L’enfant qui la considère comme une figure maternelle, ne parle pas français – ce qui convient sans doute à Christine – et leur relation se construit plutôt à travers des expériences partagées en tant qu’individus marginalisés ou des moments silencieux de gentillesse échangés entre eux simplement, ou bien encore comme dans une chansonnette offerte dans la tendresse d’un instant. Le sourire réconfortant et l’innocence enfantine de Suli font disparaître la froideur initiale, tandis que Christine est obligée de prendre le relais et d’assumer ce nouveau rôle maternel. Au fur et à mesure que le récit progresse, le passé de Christine se dévoile, nous la rendant à la fois plus proche mais aussi renforçant clairement le lien qui se construit entre le jeune réfugiée et la sans-abri. L’étendue de son intelligence et même ses propres tragédies passées sont discrètement partagées avec nous, révélant la profondeur de la riche performance de la comédienne.
Alors que leur voyage les mène des catacombes de Paris aux rues animées de la ville, en passant par des centres de détention, Claus Drexel présente avec audace les réalités que ces deux groupes marginalisés vivent au quotidien. Le traitement sans pitié du jeune Suli par des citoyens français en raison de son statut de migrant, la suspicion immédiate à l’égard de Christine, et la façon dont elle est simplement rejetée comme une vieille femme folle. Le réalisateur revient ainsi sur ce sujet des « sans-abris » qu’il avait abordé pour la première fois dans un documentaire en 2013, Au bord du monde. Même si sa mise en scène ici ne cherche pas à en faire un film « militant », il met intelligemment en lumière les dessous cachés de Paris pour tisser une histoire d’amitié et de force entre deux formes très différentes, mais très similaires, de parias. Évitant de s’aventurer plus qu’il n’en faut dans des mares sociopolitiques ou sentimentales au profit d’une narration linéaire et directe, il se rapproche parfois du cinéma muet (on pourrait presque le voir sans dialogue, avec pour seul guide la musique de Valentin Hadjadj) et va jusqu’à tremper ses orteils dans les rivages d’Andersen ou de Dickens. C’est, en effet, un agréable sentiment de fable moderne qui en ressort, et qui trouve des alliés efficaces dans les doux moments de comédie associés à des scènes d’intense sincérité (Christine vendant un collier précieux pour acheter à Suli de nouveaux sous-vêtements et un pantalon), dans ces touches délicates sur le passé de Christine ou l’onirisme retenu de certaines séquences, notamment le kaléidoscope avec lequel le petit Suli imagine un monde au-delà de la toile d’araignée qui l’attend. L’ensemble produit un mélange charmant que les deux acteurs canalisent à merveille. Et puis il y a Paris, ce carrousel glacé, ce paquebot aux chandelles qui prend une personnalité propre tout au long de l’odyssée de ce drôle de couple.
Sous les étoiles de Paris présente Catherine Frot dans l’une de ses performances les plus touchantes. Son physique restitue parfaitement les manières et l’impact physique que la vie dans la rue peut avoir sur une femme âgée. De même, sa chimie avec le jeune Mahamadou Yaffa est excellente. Bien qu’il y ait peu de dialogue entre eux en raison de la barrière de la langue, le simple fait de les regarder marcher dans la rue ressemble à une conversation en soi. La narration bien ficelée de Drexel et sa mise en scène finement poétique font de ce film un spectacle percutant et d’une grande tendresse. Une bonne dose d’espérance au milieu de la montagne de misère qui nous entoure ne fait vraiment pas de mal… même au cinéma ou devant son écran de télévision !