18h… jeudi 9 septembre 2021. Les uns et les autres quittent tranquillement la cour d’honneur des Invalides. L’hommage national rendu à Jean-Paul Belmondo, en présence du président de la République et d’innombrables personnalités des arts et la politique, s’est terminé au son de « Chai Mai », composé par Ennio Morricone, et reprise dans la bande originale du Professionnel.
Je marche seul, mais avec tous ceux qui ont donnés vie à mes écrans et enchantés mes oreilles. De Cosma à Bob Sinclar en passant par Bruel ou Hugues Aufray, Dujardin, Lellouche, Boujenah, Dupontel, Anconina, Canet, Baye, Cotillard, Chesnais, Costa Gavras… Luis Fernandez bien sûr car le sport et le PSG ça comptait pour Bébel !
Beaucoup d’anonymes sont là aussi aux côtés des politiques et autres personnalités diverses qui ont pu être en lien avec l’acteur, et bien sûr de la famille qui se retrouvera dans l’intimité le lendemain pour les véritables derniers adieux lors d’une cérémonie à l’église Saint-Germain-des-Prés.
Je suis là, représentant la Fédération protestante de France et son président François Clavairoly, au même titre que plusieurs personnes pour d’autres religions. Je marche et j’observe, discute avec l’un ou l’autre, repense à tout ce qui vient d’être entendu. Qu’en reste-t-il ?
Il reste le souvenir. Souviens-toi… un souvenir qui forge, construit, épaule, fortifie, encourage. Certains souvenirs font mal et affaiblissent, il est vrai. Alors, il est bon de se nourrir de ceux qui apportent un sourire, qui ravivent un moment précieux comme le cinéma en procure si souvent. Alors me reviennent à la mémoire, ravivée par les nombreux extraits diffusés sur les écrans géants avant que ne démarre la cérémonie, tant de scènes drôles, émouvantes, audacieuses… des gestes et des cascades aventureuses, périlleuses… et des répliques qui bastonnent, qui pétillent, qui se gravent.
Juste trois, pour le plaisir :
« Une paella sans coquillage, c’est comme un gigot sans ail, un escroc sans rosette : quelque chose qui déplaît à Dieu ! » Un singe en hiver (1962)
« Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville… allez-vous faire foutre ! » À bout de Souffle (1960)
« Le meilleur moyen de faire croire que tu connais tout, c’est de ne jamais avoir l’air étonné. Parce que toi, tu as souvent l’air étonné, c’est un défaut (…) C’est étonnant mais ça doit pas t’étonner. » Itinéraire d’un enfant gâté (1988)
Mais le souvenir de Belmondo, c’est pour moi surtout et avant tout une certaine joie de vivre, un rayonnement positif et bienveillant, l’image d’un type qu’on voudrait comme pote, avec qui on a envie d’aller boire un verre, regarder un match ou simplement marcher et discuter. C’est d’ailleurs aussi ce qui ressortait et que je garde en mémoire, avec toute la relation intime qui s’y ajoute, dans les mots de son petit-fils Victor : Tout au long de sa vie, il n’a cessé de chercher le bonheur mais surtout de le donner. Aussi bien à sa famille qu’à tous les autres. À travers ses films, évidemment, mais aussi et surtout par ce qu’il était et restera, un soleil. Le soleil ne s’éteint pas. Il brille, il irradie partout, tout le temps. Lorsqu’il se couche quelque part, il se relève ailleurs. Notre grand-père nous irradie et nous irradiera toujours de son sourire, sa bonté, son extrême bienveillance. Il est un soleil éternel.
Et maintenant, les hasards des circonstances me conduisent à préparer quelques mots pour un autre départ. Celui de David Nochelski, un ami pasteur avec qui j’ai eu l’occasion de partager multiples engagements communs aux frontières de l’Église et dans les médias. Et ces mots prononcés par Victor m’ont inspiré un lien avec un texte de l’évangile de Mathieu au chapitre 5… nous invitant à être sel et lumière. Ce texte finit ainsi : « C’est ainsi que votre lumière devra briller aux yeux de tous, pour que ceux qui vous côtoient remarquent le bien que vous faites et qu’ils en attribuent la gloire à votre Père céleste. »
Des versets qui font fortement écho à cette homélie de Léon Morin, prêtre où le jeune Belmondo, du haut de sa chaire rappelle à ses ouailles de ne pas être des chrétiens de nom… Alors, oui, bien sûr, cette gloire populaire de l’artiste, me direz-vous, qui a accompagné le parcours cinématographique de Belmondo, ne renvoie pas forcément vers le Père céleste qui n’était pas vraiment non plus au cœur des propos de l’artiste. Mais cela ne nous appartient pas… Une espérance certaine était là malgré tout parfois exprimée dans des réponses à des journalistes. Mais je retiens ici davantage « le bien que vous faites » si précieux et important dans notre monde. Et alors là, justement… Jean-Paul nous en a fait du bien ! C’est sans doute pourquoi, Mgr Philippe Marsset, évêque auxiliaire de Paris, lors des obsèques en l’Église Saint-Germain des Prés dira : « Seigneur, je ne te demande pas pourquoi tu nous a repris Belmondo, je te remercie de nous l’avoir donné ».
Michel Drucker, l’un des nombreux animateurs de télévision présents, dans une sorte d’élan spirituel que de tels moments facilitent, rappelait à la sortie des Invalides : « Saint-Augustin disait, les morts sont des invisibles, pas des absents. » Je n’entrerai pas dans des considérations théologiques mais il est certain que justement le souvenir participe à la cette « invisibilité présente » et le cinéma l’amplifie.
Alors Bébel restera là encore dans les cœurs, les oreilles, et le regard intérieur. Il continuera à nous faire du bien… et nous pourrons continuer à transmettre des parcelles de son œuvre comme des témoins d’instants de bonheur, voire parfois même, oserais-je dire, de grâce.