Depuis quelques mois sur la plateforme Disney +, « Summer of Soul (… Ou, quand la révolution ne pouvait pas être télévisée) » est un film tout à fait exceptionnel à savourer urgemment… comme il se doit.

Le qualificatif d’exceptionnel n’est absolument pas extravagant. D’abord parce que sa sortie est un quasi miracle. Quarante heures de rush qui ont pris la poussière durant cinquante ans dans un sous-sol, jusqu’à ce que le batteur du groupe de hip-hop The Roots, Ahmir « Questlove » Thompson, n’en découvre l’existence et décide de les partager avec le monde entier en réalisant ce documentaire, qui se trouve être, qui plus est, son premier. L’autre raison se trouve sans doute dans la reconnaissance de ce chef d’œuvre. Il vient tout bonnement d’être récompensé par l’Oscar du Meilleur Documentaire après avoir déjà remporté le Grand Prix du Jury et le Prix du Public lors de sa première au Festival du film de Sundance 2021 et le prix dans la catégorie Meilleur documentaire aux Independent Spirit Awards 2022. Le film est d’ailleurs également en lice pour le Meilleur film musical aux prochains Grammy Awards.

Summer of Soul est centré sur le Harlem Cultural Festival de 1969, qui s’est déroulé au Mount Morris Park, sous la direction du maire libéral de New York John Lindsay et sous la protection des Black Panthers, en parallèle du festival de Woodstock et dont quasiment personne n’a jamais entendu parler.

Le festival avait pourtant réuni 300.000 personnes pour une série de concerts donnés par des artistes majeurs comme Stevie Wonder, Mahalia Jackson, Nina Simone, BB King, Edwin Hawkins, the Staples Singers, Sly and the Family Stone ou Gladys Knight & the Pips.

Le travail remarquable de Questlove permet de réhabiliter l’évènement et par la même occasion nous livrer des instants uniques de musique tout en replaçant ces instants magiques dans leur contexte de bouillonnement politique, social et culturel pour la communauté afro-américaine. Questlove ponctue son film d’images d’archives pertinentes, celles de manifestations pour les droits civiques et de témoignages de festivaliers recueillis à l’époque pour CBS Evening News. Il fait également réagir aujourd’hui des artistes et des participants.

Mais replaçons le film dans son contexte. Les années précédentes avaient vu l’assassinat de Malcolm X, de Martin Luther King Jr. et des Kennedy ; le chômage, la pauvreté et la criminalité marquaient Harlem ; Nixon était à la Maison Blanche ; et le procès des 8 de Chicago était imminent. Les droits civiques et le « black power » étaient les forces motrices de la tension culturelle de l’époque et, comme le révèle l’une des personnes interrogées, le simple fait de se battre pour utiliser le mot « black » dans les journaux, par opposition au terme « negro », était une bataille en soi.

Cette volonté de retrouver une véritable identité est un élément que Questlove maintient au premier plan de Summer of Soul, qu’il s’agisse de Nina Simone acceptant d’être décrite comme « une princesse africaine » alors qu’elle chantait un air inspiré de la production théâtrale To Be Young, Gifted and Black, ou avec la chanteuse Marilyn McCoo du célèbre groupe 5th Dimension, dont la chanson teinté de pop Aquarius, a donné lieu à des critiques selon lesquelles le groupe « n’était pas assez noir », ce qu’elle a immédiatement écarté en se produisant devant la foule de Harlem, fière de reconquérir son identité dans  ce processus. « Il ne s’agissait pas seulement de musique ; nous voulions le progrès », déclare Gladys Knight. Summer of Soul fait également allusion à la façon dont les vies et l’histoire des Noirs ont toujours été négligées et opprimées, en opposant des images de l’alunissage (qui se déroule pendant le festival) à des images de Harlem, laissé dans un état de ruine, avec des bâtiments en ruine et de graves problèmes de drogue.

Un documentaire qui peut se regarder comme situé entre narration et thérapie. Il raconte en effet l’histoire de ce festival hors normes, largement oublié par le temps ou dont la place dans l’histoire a été activement niée, mais par là-même l’histoire de l’Amérique de 69, celle aussi des participants qui n’ont jamais pu oublier cette expérience, celle également de musiciens qui n’avaient jamais vu autant de visages noirs rassemblés auparavant en un même lieu, et enfin celle de la façon dont les genres musicaux s’intègrent dans la mosaïque plus large de l’art afro-américain.

Les artistes ont joué un éventail de genres musicaux allant du gospel au blues, du jazz à la Motown, du R&B au funk en passant par des influences latino ou afro.

Dans certains des meilleurs moments du film, le réalisateur se concentre sur les visages, et pas seulement sur ceux des artistes emblématiques du festival. Une scène fabuleuse montre la légende Mahalia Jackson chantant Take My Hand Precious Lord, quelques instants après que le révérend Jesse Jackson n’ait dit à la foule que King avait fait demander cette chanson, dans ses derniers mots, au saxophoniste Ben Branch, juste avant qu’une balle ne le fasse tomber à terre ce 4 avril 1968. À ce moment-là, le film montre le visage d’un participant. C’est un homme qui regarde avec un sourire incrédule Mme Jackson, rejointe par Mavis Staples, se déchaîner au micro dans une performance vocale et physique incroyable. L’homme est ému et pourtant totalement absorbé, et nous ne pouvons qu’imaginer ce qu’il ressent à cet instant.

Les interprétations sont sublimes et essentielles, même les chansons les plus connues dégagent une énergie saisissante qui fait dresser les poils, et sont en plus rehaussées par le fait que Questlove présente chaque numéro musical comme un hymne à une partie de l’histoire et de l’expérience des Noirs. Les Edwin Hawkins Singers chantant Oh Happy Day, Gladys Knight and the Pips chantant Heard It Through The Grapevine, et The 5th Dimension chantant Aquarius/Let The Sunshine In deviennent tous des hymnes à la joie, à la liberté et au changement.

Le message est vital et le film est superbe regorgeant d’élégance. Merci Questlove !

  • Le documentaire a été acclamé par la critique dans tous les domaines, en particulier en ce qui concerne la qualité de restauration du film.