Swallow, qui nous plonge dans le quotidien d’une jeune et belle ménagère, trophée d’un mari riche et autoritaire et sous l’emprise d’une belle-famille horrifique, est un drame décalé, intelligent et raconté avec énormément de style. Un délice…
Hunter (Haley Bennett) est une jeune femme au foyer, très douce, bien sous tous rapports au premier regard. Elle s’efforce d’atteindre la perfection dans tous les aspects de sa vie, en s’habillant toujours de façon impeccable et en gardant sa maison super stylée à un niveau d’excellence digne d’un musée. Mais, au fond, sa vie n’est pas entièrement la sienne, car elle est contrôlée non seulement par Richie (Austin Stowell), son riche mari, mais aussi par sa belle-famille (David Rasche et Elizabeth Marvel). Hunter semble survivre dans cette existence jusqu’à ce qu’elle découvre qu’elle est enceinte. C’est alors qu’elle plonge progressivement dans une pathologie étonnante ; développant un trouble compulsif du comportement alimentaire, le Pica, caractérisé par l’ingestion d’objets. Alors que ses compulsions s’amplifient et l’amènent à ingérer un éventail de plus en plus dangereux de choses, Hunter voit sa « parfaite vie » s’effondrer sous ses yeux. Peut-elle maîtriser sa dépendance, ou est-elle plutôt la victime d’un autre facteur externe auquel elle succombe ?
Réalisé par Carlo Mirabella-Davis, Swallow est un somptueux festin pour le spectateur. Les images sont luxuriantes, le son est un délice auditif, l’histoire est fantasque et la performance centrale est époustouflante. Il n’y a pas grand-chose à reprocher à ce film qui, quand on le considère en plus comme le premier long métrage de ce réalisateur newyorkais, est un véritable exploit. À la première lecture du pitch, Swallow a tout du film d’horreur. Cependant, l’exécution et le contenu narratif bouleverse cette réalité pour le transformer en une histoire qui s’apparente davantage au drame relationnel et conjugal, en particulier. Clairement, le film va plus loin – beaucoup, beaucoup plus loin – en examinant sans peur comment cette jeune femme profondément troublée peut changer sa vie. Car si Mirabella-Davis peint subtilement un portrait sensible et convaincant d’une personne vivant avec le Pica, c’est davantage le rapport d’Hunter à sa famille et sa situation psychologique dans ce cadre de vie, qui attire toute notre attention. Si elle a vécu beaucoup de choses difficiles dans sa jeune vie (sans dévoiler plus qu’il n’en faut), cette femme s’est toujours protégée des confrontations. Elle s’est donc naturellement laissée emprisonner jusqu’à suffoquer dans cette condition de « femme-objet ». Alors, ce trouble qui s’immisce en elle, et qui à à voir précisément avec les objets (en même temps d’ailleurs qu’un autre corps étranger imposé se développe dans son utérus) s’apparente à la seule chose dans sa vie qu’elle semble pouvoir « contrôler ». Et ce faisant, à travers son trouble, Hunter acquière peut-être les compétences nécessaires pour s’en sortir, telle une libération cathartique que le Pica lui apporterait ; elle ne contrôle pas tout à fait sa compulsion mais, au moins, personne d’autre ne le fait non plus pour elle.
Étonnamment, Mirabella-Davis fait preuve de beaucoup de maturité dans son approche, magnant avec sagesse et discernement une certaine retenue nécessaire pour le sujet abordé. Il ne montre rien que nous n’ayons pas besoin de voir et évite les territoires trop écœurants qui en aurait fait facilement un film d’horreur de série b. Mais, au contraire, Mirabella-Davis sait exactement quand il faut éloigner la caméra. On ne voit jamais, par exemple, Hunter avaler quoi que ce soit, et pourtant, dans la façon dont les scènes sont cadrées, on a l’impression de l’avoir vu. Une simple tache de sang ici, et une expression faciale tendue, c’est tout ce dont on a besoin.
Avec Haley Bennett, le jeune cinéaste a trouvé la parfaite actrice pour le rôle d’Hunter. Connue pour avoir interprétée Megan, l’objet de l’obsession d’Emily Blunt dans La fille du train, Bennett joue ici un personnage extrêmement différent, qui se métamorphose littéralement sous nos yeux. De la douceur et la politesse du début, sa dépendance la conduit à devenir plus sauvage et fougueuse… Et alors, tout dans Swallow se combine pour renforcer le voyage émotionnel d’Hunter. Visuellement, la scénographie et les costumes renforcent le goût raffiné et la grande richesse que Hunter a adoptés par son mariage. La maison est immaculée et tout droit sortie d’un catalogue de mobiliers contemporains. Les prises de vue reflètent la nature douce imposée par Hunter et sont, pour la plupart, assez statiques. Comme pour Hunter, la caméra ne commence vraiment à prendre vie que lorsqu’elle se repose sur un des objets que cette femme est sur le point d’avaler, ou qu’elle a déjà avalé. Ces prises de vue délivrent une sensation étrange, presque affectueuse, pour ces choses. On flirt avec une forme de fétichisme. Le thème du chasseur est également porté par la bande originale. La plus grande partie du film est calme, presque suffisamment silencieuse pour entendre une épingle tomber, soulignant le manque de vie dans la villa. Ce qui est légèrement différent avec la musique cependant, où ce sont les moments précédant un épisode de déglutition qui sont les plus bruyants, amplifiant l’agitation intérieure de Hunter.
Avec Swallow, Mirabella-Davis fait irruption dans le monde du cinéma comme un réalisateur accompli qu’il faut surveiller de près. Bennett, elle, brille plus que jamais, et avec un film si magnifiquement conçu et si bien joué figurant maintenant sur son CV, nous ne pouvons qu’espérer la voir et la revoir continuer de rayonner.
Et Swallow, dans tout ça, nous fait réfléchir… nous bouscule adroitement. Courageux, stimulant et désespérément nécessaire, nous sommes là confrontés à un film parfait pour faire face à nos imperfections et à certains dommages d’une société terriblement malade de son rapport aux apparences et si douloureusement marquée par tant de violences conjugales.