Sombre et sauvage, The Batman arrive encore à surprendre. Reeves et son co-scénariste Peter Craig adoptent ici une approche simple mais ambitieuse de la narration. Ils dépouillent le personnage de tout ce qui est superflu, redondant ou gadget.
Dans sa deuxième année de lutte contre le crime, le milliardaire et justicier masqué Batman, alias Bruce Wayne (Robert Pattinson), explore la corruption qui sévit à Gotham et notamment comment elle pourrait être liée à sa propre famille à qui il doit toute sa fortune. En parallèle, il enquête sur les meurtres d’un tueur en série qui se fait connaître sous le nom de Sphinx (Paul Dano) et sème des énigmes cruelles sur son passage. Selena Kyle (Zoë Kravitz) croise le chemin du « plus grand détective du monde » à la recherche d’une femme disparue qui détient un indice vital sur l’identité et le but final du tueur, mais son véritable agenda n’est pas clair. Alors que les indices s’accumulent, mais avec moult cadavres, Bruce devra chercher des réponses au seul endroit où il craint de regarder : dans le miroir.
Batman semble être devenu une sorte de James Bond pour la Warner Bros., qui « rebondit » tous les deux ans avec un nouveau Bat-guy et tout son attirail.
Entre les programmes télévisés, les projets d’animation et même le Joker qui a eu droit à son propre film, les spectateurs peuvent légitimement s’interroger sur le bien-fondé d’une telle profusion… Eh bien, The Batman commence là où les autres films se terminent – « Je suis la nuit ! Je suis la vengeance ! » – poussant Bruce au bord du gouffre. En revanche, le Wayne de Pattinson y est déjà, broyant du noir au-dessus du gouffre, et seul Alfred Pennyworth (Andy Serkis) le retient. Avec une bande-son signée par le compositeur Michael Giacchino qui assure et crée une véritable ambiance, un vrai travail de détective et un rôle surprenant joué par un Pattinson très compétent à la tête d’un excellent casting, un Matt Reeves qui prouve encore une fois tout son talent à la caméra, (déjà montré dans Cloverfield et dans les deux volets de La Planète des Singes qu’il a réalisés), Batman apprend à être meilleur qu’hier dans une ville qui perd espoir.
The Batman va clairement au cœur du personnage, de ses ennemis et alliés, et du monde qu’il habite. Ce film est donc différent des autres itérations du personnage (ainsi que des autres films de super-héros en général), non seulement parce qu’il est ancré, de manière admirable et parfois dérangeante, dans la réalité, mais aussi parce qu’il intègre l’attrait, la signification et les questions plus profondes de ce justicier masqué à un niveau fondamental. Sa participation à une sorte d’expérience sociologique visant à déterminer si la lutte contre le crime présente des avantages pour Gotham City offre nul besoin de revenir sur son histoire originelle. Nous n’avons pas besoin de voir et revoir les parents de Bruce se faire assassiner dans une ruelle, par exemple, car les réalisateurs sont suffisamment intelligents pour savoir que cette histoire, bien qu’elle ne soit pas directement liée aux versions précédentes du personnage ou à l’univers plus vaste des bandes dessinées dont il fait partie, existe dans la mémoire culturelle de toutes les variations précédentes. Ici, Batman existe dans l’ombre.
La clé du succès du film, et la raison pour laquelle il se démarque de la foule de récits de super-héros qui ont submergé les médias ces derniers temps, est que Reeves aborde cette formule avec un sens de la gravité sans doute relativement effrayant mais totalement sincère. Avant tout, le cinéaste a réalisé un thriller intelligent et atmosphérique sur la conspiration, la corruption et le meurtre, et naturellement, sur le Chevalier Noir qui demeure le plus crédible des super-héros. Il est ainsi franchement agréable de voir qu’un film du genre s’intéresse davantage à l’ambiance, aux personnages et à l’intrigue qu’aux effets spéciaux, même si, tout de même, une poursuite en voiture sur un tronçon d’autoroute bondé et détrempé par la pluie est étonnante de claustrophobie et à la fois spectaculaire… Si l’histoire fait abstraction de tous les éléments potentiellement superflus, il ressort une puissance émotionnelle dans la façon dont les deux personnages principaux en particulier, mais aussi plusieurs autres apparaissent comme des personnes blessées et brisées, qui se rapprochent en essayant de faire quelque chose de ce monde qui les a brisés (ou du moins d’y faire quelque chose…). L’intérêt amoureux entre Batman et la délicate et curieuse Selina Kyle, superbement jouée par Zoë Kravitz, la future Catwoman, offre les quelques moments plus légers du film alors qu’ils se chamaillent sur la façon dont ils pourraient, ou non, travailler à éradiquer le fléau de Gotham.
L’époustouflant final de The Batman est peut-être un peu moins intéressant que ce qui le précède, mais il parvient tout de même à souligner que l’homme dans le costume est un être humain, ce qui le rend vulnérable, même avec un gilet pare-balles et sa ceinture. Plus j’y pense, plus j’apprécie ses forces et l’accent mis sur cet aspect des choses. Wayne sait mieux que quiconque que le pouvoir et l’influence ont souvent un coût pour le sens moral. C’est l’une des leçons retentissantes de tout le film, en fait, et tout ça est toujours terriblement d’actualité.
En conclusion, The Batman est un excellent premier chapitre d’une série qui, je l’espère, en appellera d’autres. Avec une durée de près de trois heures, c’est le plus long film sur ce personnage jamais réalisé. Mais grâce à la qualité du casting, à l’élégance de la cinématographie et à l’intrigue façon thriller obscure, le temps passe très vite… sans doute plus vite que ne roule la batmobile.