Avec The Brutalist, Brady Corbet signe une œuvre magistrale sur l’ambition, l’exil et les traumatismes du XXe siècle. Lion d’Argent à la Mostra de Venise, Golden Globe du meilleur film dramatique, du meilleur réalisateur et du meilleur acteur dans un film dramatique pour Adrien Brody, ce troisième long-métrage de Brady Corbet, récolte aujourd’hui une pluie de nominations aux Oscars et s’impose comme une proposition cinématographique majeure de cette décennie, convoquant les thèmes de l’identité, du pouvoir et de la résilience à travers l’histoire d’un architecte juif hongrois déplacé par la Seconde Guerre mondiale.

Fuyant l’Europe d’après-guerre, l’architecte visionnaire László Tóth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu’il formait avec sa femme Erzsébet, que les fluctuations de frontières et de régimes de l’Europe en guerre ont gravement mis à mal. Livré à lui-même en terre étrangère, László pose ses valises en Pennsylvanie où l’éminent et fortuné industriel Harrison Lee Van Buren reconnaît son talent de bâtisseur. Mais le pouvoir et la postérité ont un lourd coût.

Un voyage marqué par l’exil et l’ambition

Adrien Brody incarne László Tóth, un architecte formé au Bauhaus qui, après avoir survécu à l’Holocauste, débarque aux États-Unis en 1947, porteur d’espoir et de blessures silencieuses. L’Amérique, tant idéalisée, se révèle une terre pleine d’obstacles, où il doit reconstruire sa vie et son art. Felicity Jones, dans le rôle d’Erzsébet, son épouse restée en Europe avec leur nièce Zsófia, incarne la part d’humanité qui le lie encore à son passé. D’abord employé par son cousin Attila (Alessandro Nivola), qui s’est américanisé jusqu’à renier son héritage juif, László attire l’attention du puissant magnat Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), riche industriel pénétré de snobisme. Fasciné par l’esthétique moderniste de l’architecte, il l’engage pour un projet monumental. Entre admiration et oppression, la relation entre les deux hommes devient le cœur dramatique du film.

Au-delà de l’ascension sociale et professionnelle de Tóth, The Brutalist explore les thèmes du déracinement, du poids des traumatismes et de la dépendance.

L’architecte, hanté par son passé, trouve refuge dans l’héroïne, une addiction qui, comme son art, devient une manière de supporter un monde où il ne trouve pas sa place. Brody livre une performance bouleversante, d’une intensité rare, capturant la douleur enfouie et la passion créatrice de son personnage.

La mise en scène de Corbet est grandiose. Tourné en VistaVision (un procédé de prise de vues cinématographique sur pellicule 35 mm), divisé en chapitres et ponctué d’un entracte de 15 minutes, le film s’inscrit dans la lignée des grandes fresques cinématographiques comme Il était une fois en Amérique, Citizen Kane ou There Will Be Blood. La photographie ascétique de Lol Crawley sublime l’architecture brutaliste et met en contraste la rudesse des matériaux avec la fragilité humaine. Le brutalisme est un style architectural issu du mouvement moderne qui tire son origine du français “brut”, utilisé par Le Corbusier pour désigner l’aspect sauvage, naturel et primitif du béton lorsqu’il est utilisé sans transformation.

Une critique acérée du rêve américain

Si The Brutalist se présente comme un drame intime, il brosse aussi un portrait au vitriol d’une Amérique gangrenée par les inégalités et le racisme. L’immigration y est une lutte permanente, et la culture y est souvent instrumentalisée par des élites avides de prestige plutôt que d’authenticité. Le face-à-face entre Tóth et Van Buren incarne cette dynamique du pouvoir où l’artiste devient à la fois objet d’admiration et instrument de domination. Guy Pearce campe un patriarche impérial, tour à tour charmeur et terrifiant, dont la relation avec l’architecte dévoile un mélange de fascination et de rejet. Leur voyage dans les carrières de marbre de Carrare offre une scène d’une véritable intensité spirituelle, rappelant la quête d’un idéal inaccessible. Mais c’est aussi dans ce moment-là que le scénario bascule…

Une œuvre monumentale et intemporelle

Tout le monde s’accorde à reconnaitre que Brady Corbet livre un film d’une envergure exceptionnelle, questionnant la place de l’artiste dans la société et la survivance de l’identité face à l’adversité. Cette épopée existentielle et résiliente, à la croisée du film historique et du drame psychologique, marquera sans doute durablement le cinéma contemporain. Un chef-d’œuvre puissant, d’une beauté brute et d’une profondeur inégalée à l’image des constructions évoquées.