Une enquête au cœur d’une organisation chrétienne conservatrice super secrète à Washington D.C. nommée The Fellowship Foundation, mais appelée en interne The Family. Selon Jeff Sharlet, l’auteur du livre publié en 2008 sur lequel se base la série, ses membres croient que « le vrai message du Christ n’est pas tant l’amour que la force ». Bien sûr, cela peut sembler quelque peu assez innocent au premier regard, enfin jusqu’à ce que tu réalises que l’organisation a beaucoup de pouvoir dans le monde entier, et qu’elle ne l’utilise pas vraiment forcément pour le meilleur…  

Réalisée par Jesse Moss (« The Overnighters ») et produite par Alex Gibney pour Jigsaw Films, la série est basée sur les enquêtes documentaires The Family et C Street écrites par Jeff Sharlet, professeur de journalisme au Dartmouth College et spécialiste en religion. Et bien que la réponse ne soit pas aussi tranchée qu’elle pourrait l’être, The Family est un examen profondément troublant d’une soi-disante théocratie exercée dans les coulisses de Washington D.C.

The Fellowship Foundation est un groupe très secret d’hommes chrétiens qui se réunissent pour des études bibliques et des réunions de prière ; elle est surtout connue pour servir d’organisateur du National Prayer Breakfast, un rassemblement annuel de diplomates et de dirigeants mondiaux à Washington D.C. Fondée en 1935 par un norvégien nommé Abraham Veride, The Fellowship Foundation est née de l’organisation d’une réunion de 19 chefs d’entreprise pour écraser les tentatives des travailleurs de se syndicaliser. Au cours des soixante quinze dernières années, elle est devenue ce que certains ont appelé une théocratie secrète, ou un mouvement clandestin d’hommes chrétiens éminents qui exercent leur influence non seulement aux États-Unis, mais aussi à l’étranger. Les membres de la fraternité opèrent sous un voile de secret, qui est là par dessein ; Douglas Coe, le chef de la fraternité, qui est décédé en 2017, croyait que le groupe pourrait mieux exercer son influence de cette façon. « Plus vous pouvez rendre votre organisation invisible, plus elle aura d’influence », dit-il précisément dans l’un des rares discours archivés disponibles. Coe est un personnage clé, non pas pour les grandes victoires politiques – l’influence directe qu’il a eue sur les présidents américains reste floue – mais pour la manière dont il a mené ses affaires. Il a rendu le Mouvement non hiérarchique, peu enclin à la publicité et donc quasi intouchable. Les membres du Congrès, soutiennent Moss et Sharlet, font secrètement pression en faveur d’une organisation invisible qui « se cache à la vue de tous » depuis huit décennies. Cette organisation, dit Sharlet dans une scène, est « l’expression la plus sombre de la pratique religieuse que j’aie pu voir en 20 ans » (Enfin, il m’est cependant personnellement difficile d’entendre cette citation et de ne pas malgré tout penser immédiatement à quelques autres concurrents potentiels…).

La principale façon dont The Fellowship Foundation maintient son influence, soutient la série, est par le biais du National Prayer Breakfast, auquel tous les présidents depuis Eisenhower ont assisté au cours des cinquante dernières années. Bien que beaucoup considèrent le petit-déjeuner de prière comme un « événement banal », selon Moss : « C’est vraiment une démonstration impressionnante d’influence et de pouvoir ».  Dans ses efforts pour consolider son pouvoir, La Famille a étendu ses tentacules à l’étranger. Un épisode de The Family se concentre ainsi, en grande partie, sur un voyage que le représentant Robert Aderholt, un politicien de droite lié au groupe, a fait en Roumanie pour faire campagne pour les droits anti-LGBTQ et défendre une certaine politique chrétienne. Des connexions avec des dirigeants mondiaux qui ont commis des atrocités dans leur pays d’origine, y compris le dictateur libyen Moammar Kadhafi, qui a déjà « prié » avec Coe, laissent songeur. « Face à tous ces dictateurs, ils ne disent rien du tout, dit Sharlet. Ils ne demandent pas de comptes. »

Pendant un peu plus de quatre heures, La Famille tente ainsi d’exposer une institution dont la monnaie la plus prisée a toujours été le secret, fouillant dans ses origines, ses liens avec certains des autocrates les plus méchants du monde, son amitié plus récente avec la Russie, et son enthousiasme pour Trump comme un « roi-loup » qui peut changer l’histoire. The Family dépeint notamment ce rapport particulier entre The Fellowship et le président Donald J. Trump, malgré ses valeurs éthiques et comportements résolument non-évangéliques, considérant ce dernier comme un élément crucial dans la quête d’une vraie domination mondiale, via une alliance mutuellement bénéfique où le pouvoir est l’objectif ultime. Derrière tout cela se profile sans doute une réponse possible à un terrible questionnement tout à fait fondamental de la présidence de Trump : Comment un homme si ouvertement dévoué à la banalité du mal peut-il encore conserver un large soutien parmi les chrétiens ? La Famille croit que les dirigeants gouvernent par droit divin, et que le pouvoir est en soi une preuve de la bénédiction de Dieu. Sharlet et Moss démontrent que La Famille a cultivé cette relation intime avec Donald Trump, afin d’aider les chrétiens à l’accepter comme le « récipient imparfait » de la volonté de Jésus. En accord avec leur admiration de longue date pour de nombreux dictateurs (y compris Hitler ou Mao – certains discours filmés de Douglas Coe font froid dans le dos… « Hitler, Staline, Mao, ce genre de loyauté absolue, c’est le but »), elle considère Trump comme une âme sœur qui comprend que certains sont prédestinés à dominer les autres, que chacun est un partenaire commercial potentiel et que l’éthique n’est pas un obstacle pour atteindre ses objectifs. « Si tu es choisi, peu importe ce que tu fais »… Le manque de transparence qui entoure le fonctionnement interne de La Famille, combiné à une administration marquée par « l’accommodement d’un leadership autoritaire », comme le dit Moss, soulève des questions extrêmement fortes sur l’intersection de la foi et du pouvoir. 

D’un point de vue « spirituel », Moss brosse ainsi un portrait fascinant d’une organisation qui semble uniquement motivée par le pouvoir. Leur approche à l’égard du christianisme, révèle Sharlet, est limitée – l’organisation n’a qu’un intérêt minimal pour la Bible et s’appuie sur une interprétation peu orthodoxe de Jésus tel un avatar musclé de la masculinité alpha, une sorte de Navy SEAL spirituel. Jésus, aux yeux de la communauté, n’est pas tant l’Agneau de Dieu qu’une licence pour étendre et projeter le pouvoir patriarcal. Dans leur théologie excentrique, le monde est dirigé par des « hommes clés » qui ont été choisis par Dieu pour régner sur nous tous, à l’imitation de Jésus, qu’ils voient donc comme un leader musclé intéressé uniquement par le pouvoir. Coe, quant à lui, utilise le truisme selon lequel Jésus s’est assis avec des pécheurs pour justifier la construction de relations douteuses avec des tyrans génocidaires comme Omar al-Bashir, le général Suharto et Mohamed Siad Barre.

Mais ce qui est presque le plus intéressant dans cette série documentaire, ce sont les éléments que Moss note mais qu’il n’approfondit finalement pas. C’est un groupe qui voit le privilège comme un potentiel, la blancheur comme pouvoir, la masculinité comme preuve de perspectives de leadership. Dans le premier épisode, Sharlet décrit comment Ivanwald (une « fraternité » de jeunes hommes qui vivent ensemble « au service de Jésus » en travaillant au service de politiciens, ou comme ils les appellent, « des hommes choisis par Dieu pour diriger ») avait également un bras équivalent pour les femmes, Potomac Point. Mais pendant que les jeunes hommes étaient préparés pour une autorité future, les femmes étaient « encadrées au service » et orientées vers des relations futures avec les membres d’Ivanwald. Sharlet raconte que lors d’une réunion, il se souvient qu’un « ami » aîné de La Famillea dit aux résidents d’Ivanwald qu’ils ne seraient pas jugés par le mouvement, même s’ils avaient violé trois petites filles. La Famille fait également allusion à la mesure dans laquelle la communauté identifie la blancheur comme une composante essentielle des agents choisis par Dieu. Comme l’ont soulignés plusieurs sur Twitter… on frôle le prequel de l’excellente mais terrible série de fiction La servante écarlate… et c’est franchement inquiétant !

Alors, on pourra malgré tout regretter une approche de Moss parfois un peu « tout much », surtout dans la forme, se gargarisant d’accessoires stylistiques typiques des exposés conspirationnistes. Et pourtant, au fur et à mesure que la série progresse, il n’est pas si clair d’arriver à discerner si The Fellowship est aussi puissante qu’elle le voudrait, ou si son aura de mystère est son atout le plus distinct. Le problème avec The Family c’est sans doute l’étalement du sujet : Il y a tellement d’informations ici, avec des ramifications d’une telle portée et d’une telle horreur, qu’il est difficile pour le spectateur d’en sortir les idées claires. Et, bien que le documentaire cherche clairement à accumuler suffisamment de preuves contre Trump pour semer le doute dans l’esprit de ses partisans, il n’aboutit jamais vraiment à un argument unique et percutant. Et puis, hélas, l’une des victimes collatérales de cette diffusion risque bien d’être, encore une fois, la foi chrétienne et les Églises évangéliques en particulier (bien que ce groupe n’en soit qu’une sombre émanation et que, on le voit dans le deuxième épisode notamment, de nombreux pasteurs se soient positionnés et aient même lutté contre). Elle reflète néanmoins une dérive fondamentaliste particulièrement visible aux USA mais aussi, encore hélas, dans un élargissement mondial plus important. Il y aura donc nécessairement, en prenant en compte l’impact d’une plateforme comme Netflix, des millions de spectateurs dont l’opinion sur les évangéliques sera dans doute déformée par ce film. 

Enfin pour conclure et pour votre information, l’organisation The Fellowship Foundation a publié une déclaration en réponse à la série documentaire de Netflix, que je ne commenterai pas… Dans la déclaration, il est dit : « Bien que la série documentaire de Netflix caractérise mal le travail de la communauté et tente de dépeindre les gens de foi sous un mauvais jour, nous sommes encouragés par la fréquence à laquelle les spectateurs sont présentés à la personne et aux principes de Jésus, qui sont au cœur de notre mission et de notre message. Peut-être comprendront-ils mieux l’intégrité et l’impact transformationnel de ce réseau informel pour encourager chacun, dans un esprit d’amitié et de réconciliation, à aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit et à aimer son prochain comme lui-même. »

Pour aller plus loin :

Défendez les droits des orphelins et de ceux qui manquent de tout, faites justice aux malheureux et à ceux qu’on écrase par l’injustice. Libérez les pauvres et ceux qui manquent de tout, arrachez-les aux mains des gens mauvais. Psaume 82:3-4 

Jésus prend la parole et il les enseigne en disant : « Ils sont heureux, ceux qui ont un cœur de pauvre, parce que le Royaume des cieux est à eux ! Ils sont heureux, ceux qui pleurent, parce que Dieu les consolera ! Ils sont heureux, ceux qui sont doux, parce qu’ils recevront la terre comme un don de Dieu ! Ils sont heureux, ceux qui ont faim et soif d’obéir à Dieu, parce qu’ils seront satisfaits ! Ils sont heureux, ceux qui sont bons pour les autres, parce que Dieu sera bon pour eux ! Ils sont heureux, ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ! Ils sont heureux, ceux qui font la paix autour d’eux, parce que Dieu les appellera ses fils. Ils sont heureux, ceux qu’on fait souffrir parce qu’ils obéissent à Dieu. Oui, le Royaume des cieux est à eux ! Vous êtes heureux quand on vous insulte, quand on vous fait souffrir, quand on dit contre vous toutes sortes de mauvaises paroles et de mensonges à cause de moi. Soyez dans la joie, soyez heureux, parce que Dieu vous prépare une grande récompense ! En effet, c’est ainsi qu’on a fait souffrir les prophètes qui ont vécu avant vous. » Matthieu 5:2-12