La 79ème cérémonie des Golden Globes s’est tenue à huis-clos à Los Angeles dans un climat fait de controverse avec le boycott de l’industrie du divertissement. La raison ? Le manque de diversité et le sexisme des jurés de l’Association de la presse étrangère d’Hollywood, pointés du doigt par l’industrie et en particulier par les acteurs Mark Ruffalo et Scarlett Johansson. Les organisateurs auront évidemment préféré invoquer la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 et la propagation du variant Omicron pour expliquer ses choix…
Côté palmarès, la cérémonie sans télévision, ni public, ni tapis rouge a plébiscité deux films The Power of the Dog et West Side Story qui ont remporté les principaux prix. Occasion pour moi de revenir sur le somptueux western (qui n’en est pas) de Jane Campion, deuxième film réalisé par une femme à remporter le Golden Globe du meilleur film dramatique. Il a également remporté les prix du meilleur réalisateur, et du meilleur acteur dans un second rôle pour Kodi Smit-McPhee.
The Power of the Dog
Originaires du Montana, les frères Phil et George Burbank sont diamétralement opposés. Autant Phil est raffiné, brillant et cruel, autant George est flegmatique et bienveillant. À eux deux, ils sont à la tête du plus gros ranch de la vallée. Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d’anéantir celle-ci. Il cherche alors à atteindre Rose en se servant de son fils Peter, garçon sensible et efféminé, comme d’un pion dans sa stratégie sadique.
Bien qu’il se déroule au milieu des années 20, The Power of the Dog, premier long métrage que la réalisatrice d’origine néo-zélandaise ait réalisé depuis 12 ans, est néanmoins imprégné d’une imagerie western iconique. Campion inscrit sa puissante histoire de désir refoulé, de psychose à peine dissimulée et de masculinité toxique dans le plus légendaire et le plus vénéré des genres américains sans pour autant, vous l’aurez compris, chercher à en faire un de plus. Il s’agit d’un film d’une rare ambiguïté qui est néanmoins d’une clarté saisissante, tant dans ses liens narratifs que dans sa résonance thématique. Campion rend tout excessivement clair sans jamais pourtant être direct.
Un aspect marquant de son travail se situe aussi ici dans son travail somptueux du vaste paysage cinématographique, offrant une mise en valeur de l’Ouest américain. La réalisatrice et le directeur de la photographie Ari Wegner parviennent à donner une touche d’âme aux décors sans en sacrifier la gravité. Les vents violents, les terres désolées et les eaux scintillantes des lacs reflètent tous le fait que sous l’enchantement se cache quelque chose d’intensément grave. En plus de la cinématographie saisissante, la partition majestueuse de Jonny Greenwood fait un travail remarquable en guidant subtilement les changements de ton à mesure que la tension monte, de la contemplation à l’agression passive et à la malveillance totale. Enfin, naturellement, les performances des acteurs sont toutes remarquables.
La performance de Benedict Cumberbatch, qui s’articule autour de la discordance aiguë et douloureuse entre les comportements extérieurs de Phil et ses luttes intérieures, est la pierre angulaire magistrale du film. Phil est à la fois détestable et pathétique, magnétique et repoussant, puissant et fragile. Ce mélange de paradoxes nous attire inexorablement vers lui, peut-être parfois contre notre volonté, et transforme les derniers moments soudains et inattendus du film en une tragédie ambiguë mais bouleversante. Kirsten Dunst, quant à elle, parvient à manifester avec force et conviction ce sentiment de lassitude du monde au rôle de Rose, qui subit une dépression psychologique progressive provoquée par la duperie de Phil, la plongeant dans le gouffre de l’alcoolisme. Kodit-Smith-McPhee, convainc de son côté (le Golden Globes du meilleur acteur dans un second rôle le démontre) dans l’expression de son conflit intérieur de genre, et dans son apparente recherche à être guidée par les figures supérieures qui l’entourent. Dans le rôle le moins important des quatre acteurs principaux, Jess Plemons joue le rôle noble du frère de Phil, George avec une grande nuance. Les performances de soutien d’acteurs chevronnés comme Frances Conroy, Keith Carradine et Thomasin McKenzie ajoutent encore un supplément de la crédibilité à l’ensemble.
The Power of the Dog marque un retour triomphal au cinéma pour Jane Campion, avec un film somptueux tant visuellement que dans son sens profond et qui risque de se retrouver encore au palmarès de plusieurs prix. Mais au fait, j’allais oublier… un film extrêmement biblique qui plus est puisque le titre même s’inspire directement du Psaume 22 verset 20 : « Délivre mon âme de l’épée, mon bien-aimé de la puissance du chien. » Après ça, comment résister encore ?
- The Power of the Dog est à voir sur Netflix depuis début décembre.