L’incendie de l’âme en un bouquet de mots. Roulement du tonnerre, Claudel en son royaume. En 1917, diplomate ayant gravi la colline des grades avec difficulté, le bonhomme est nommé ministre plénipotentiaire au Brésil. Autant le dire, il s’ennuie ferme : à Paris, sont restés sa femme et ses enfants, sa maîtresse, tout un bal de péchés dont ce catholique fanatique est tourmenté. Alors il écrit comme on se sauve. Un texte halluciné, poème désarticulé dont cependant la structure est classique, basée sur la plus rigoureuse des liturgies, le rite auquel tous les jours il s’astreint. C’est ainsi que naît « La messe là-bas », que Didier Sandre va faire entendre, du 7 au 23 juin, au Studio de la Comédie Française, à 18h30. Une question : que vient faire un protestant sur cet esquif ?  

« J’ai joué presque toutes les pièces de Claudel où il se met en scène, ce que l’on pourrait appeler son théâtre autobiographique, nous explique ce grand comédien. Bien sûr, on a le droit de s’étonner qu’un protestant soit à ce point préoccupé du catholicisme claudiélien. Mais pour moi, plus que la foi, compte l’aventure humaine dont ces textes portent la trace.» Élaborés dans des conditions morales plus que périlleuses – il est loin le temps où l’on faisait de Paul un frère indigne à l’endroit de Camille : tout le monde aujourd’hui sait que la folie frôlait aussi l’homme de lettres – « La messe-là bas » tient de l’introspection douloureuse.

« Claudel était un sanguin, rappelle Didier Sandre, et j’ai coutume de dire qu’il pratiquait un catholicisme à globules rouges. Evidemment, je ne  m’identifie pas à lui, mais je me retrouve dans cette volonté d’échapper au hasard et à l’apparence, je me reconnais dans ce désir de ne pas être inscrit uniquement dans la temporalité de notre appartenance à la terre, cette façon de parler du deuil, de l’exil – qu’il soit géographique ou intérieur. »

Claudel a voulu se faire moine. Pas fous, les réguliers qu’il a consultés l’ont rejeté, percevant le danger d’accueillir un paroissien pareil. Et nous avons gagné l’un de nos plus grands auteurs. Ecoutez « La messe là-bas » : « Mais les mots, s’ils ne servent à parler, à quoi est-ce qu’ils peuvent servir ?/ Et s’ils ne vous restituent ce qui est en eux, à quoi servent le rossignol et le saphir ?/ Pour trouver ce qui avait besoin d’être dit, pour nous expliquer de nous-mêmes avec Vous, en ce mot que nous avons découvert/ Ce n’est pas trop de fourrager la mer et le ciel et d’aller jusqu’au bout de la terre/ Où est-il, ce mot essentiel enfin, plus précieux que le diamant/ Cette goutte d’eau pour qu’elle se fonde en Vous, comme l’amante en son amant ? »

La voix de Didier Sandre, assurée sous le tragique ou l’intranquille, porte au sommet le verbe de Claudel.

« En disant « La Messe là-bas », je suis un conteur, estime le comédien. Jouant une pièce, je suis protégé par le point de vue d’un metteur en scène, un décor, un costume, des lumières. Ici, je révèle une intimité. Ceci posé, lorsque j’ai suggéré à Eric Ruf de présenter ce texte, il m’a demandé si j’avais besoin de quelqu’un pour me guider. Je lui ai répondu que je désirais plutôt que quelqu’un pour m’écouter ; dans un même élan, je lui ai proposé d’être cette personne. »

Allons bon ! Deux protestants ? Mais oui, vous le savez, l’administrateur de la Comédie française est, lui aussi, un enfant de la Réforme. Et si l’on ajoute que l’homme qui a conçu les lumières du spectacle, Bertrand Couderc, est également parpaillot, voilà qui signe un choc frontal avec le fidèle de Rome qu’était Claudel. Par quel chemin peuvent-ils se retrouver ?

« Il est évident que l’amour du texte tient dans notre famille spirituelle une place primordiale, admet Didier Sandre. Mais je pense avant tout que l’écriture poétique, par sa démesure, entraîne à la transcendance ; elle nous décolle du réel, nous permet d’entrevoir un monde plus large ; elle est ce que les hommes inventent pour expliquer le grand mystère de la vie. Sur ce point, je considère qu’entre Claudel et les protestants, la rencontre est possible. » Au ciel des cintres du théâtre, brille notre commune espérance.

A noter : « La messe là-bas » par Didier Sandre, à 18 h30 au Studio de la Comédie Française, 99 rue de Rivoli, Carrousel du Louvre Paris Ier. Réservations : www.comedie-francaise.fr