Tori et Lokita met en avant la nature irréductible de la dignité humaine contre l’apathie toujours plus grande de notre civilisation. Le film a offert à Luc et Jean-Pierre Dardenne une récompense de plus tout à fait unique au palmarès cannois (prix spécial du 75e anniversaire créé spécialement pour eux par le jury de Vincent Lindon).
Les frères Dardenne frappent fort une nouvelle fois, eux qui ont déjà passé les trois dernières décennies à tailler des drames moraux tranchants comme des diamants à partir de la détresse des personnes les plus démunies. Cette fois-ci, ils ont été interpellés par la situation, et notamment la solitude, des mineurs étrangers non accompagnés suite aux rencontres de plusieurs directeurs et directrices de Centre MENA.
C’est ce qu’ils ont pu expliquer à l’équipe de La Cimade, partenaire de la sortie du film, venue les rencontrer. L’association fondée peu après le début de la Seconde Guerre mondiale par des mouvements de jeunesse protestante, et membre de la Fédération protestante de France, a naturellement trouvé dans Tori et Lokita une matière artistique ayant force de plaidoyer et rejoignant ses engagements pour la défense de la dignité et des droits des personnes réfugiées et migrantes, quelles que soient leurs origines, leurs opinions politiques ou leurs convictions.
Un film juste et percutant où l’on appréciera le fait de livrer leur histoire en moins d’une heure et demie de métrage, sans fioritures superflues, de musique extra-diégétique, ou de tentatives bon marché pour tirer sur nos cordes sensibles d’une manière irréaliste ou non méritée. Tout simplement ce qu’il faut, ce qui est nécessaire pour dénoncer des situations inacceptables.
Les deux réalisateurs souhaitent pour leurs parts « qu’à la fin du film le spectateur et la spectatrice qui auront ressenti une profonde empathie pour ces deux jeunes exilés et leur indéfectible amitié, éprouvent aussi un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés. »
Ils parviennent avec brio à montrer l’étau des dangers qui se resserrent sur Lokita et Tori. Le besoin pour Lokita d’envoyer de l’argent à sa mère au pays alors qu’elle est, elle-même, rackettée par un ignoble passeur africain qui se sert de l’Église comme d’un paravent. Et tout l’engrenage qui se met en place évidemment… Lokita vend de la drogue au profit d’un cuisinier qui, en plus, abuse sexuellement d’elle.
Contre la promesse de faux papiers, il la contraint à une forme d’esclavage (et la sépare de Tori) pendant plusieurs mois pour travailler, dans les sous-sols d’une usine désaffectée, à la culture de plans de cannabis. Ce sont ainsi ces nouveaux trafics que les cinéastes pointent du doigt également, ces exploitations des plus pauvres qui se passent là, au sein même de nos villes et de nos campagnes, et où une certaine complaisance d’état peut-être constatée indirectement.
Pour une telle histoire il fallait forcément deux formidables acteurs. Les Dardenne ont opté pour des non-professionnels qui vivent dans la région de Liège en Belgique. Mbundu Joely (Lokita) est surprenante d’intensité car son rôle est très difficile. Notamment parce que son personnage, lui-même dans l’histoire, joue un rôle et se retrouve en plus embarqué dans une lutte pour survivre et protéger sa « famille » ici et là-bas. Avec elle, le « petit frère », Pablo Schils (Tori), est juste parfait avec un aplomb remarquable.
Les Dardenne dressent, une nouvelle fois, un réquisitoire social avec une clarté familière mais une force sans doute renouvelée. Ils témoignent encore, malgré tout, d’une foi inébranlable dans la pureté de l’amour familial, au sens propre et figuré. Avec Tori et Lokita, ils donnent enfin visages et noms et une histoire aux jeunes migrants vulnérables qui restent malheureusement habituellement anonymes.
Un film à ne surtout pas manquer cette semaine, telle une urgence humaine et spirituelle !
L’interview des frères Dardenne par une équipe de La Cimade :