Avec Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, le réalisateur roumain Emanuel Pârvu ose aller sur des sentiers rugueux mais sans excès, avec beaucoup de justesse.

Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain, son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer.

Une histoire, une perspective

Le scénario d’Emanuel Pârvu et de sa coscénariste, Miruna Berescu, s’appuie sur un fait d’actualité datant d’une dizaine d’année. Une sombre histoire criminelle d’un viol d’une jeune fille par sept hommes dans un village perdu de Roumanie. La communauté entière s’était retournée contre elle. Avec Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, l’histoire prend une autre tournure et passent également par le prisme de l’homosexualité. Le réalisateur explique néanmoins qu’il était plus intéressé par l’exploration d’une nouvelle perspective sur un certain sujet que par le fait de raconter une histoire LGBTQ, en soi. « La valeur d’une histoire réside, à mon avis, dans la manière dont vous la racontez. Chaque histoire a ses propres particularités : elle se déroule peut-être dans une autre partie du monde ou se concentre sur les juifs, les personnes de couleur, les Roms ou la communauté gay. Ces histoires peuvent montrer une perspective à laquelle personne n’a pensé auparavant […]. Par exemple, dans mon film, mes personnages se comportent de manière tout à fait inadéquate avec un enfant, et j’ai eu l’occasion de capturer cela ». On pourrait ajouter à cette perspective que chacune, chacun peut à tout moment se retrouver dans le camp de la minorité, face à une opposition qui, soudain, est prête à tout pour vous éliminer (concrètement ou abstraitement).

Pârvu est un habitué du traitement d’histoire de marginaux, de rejetés, de vulnérables, de tous ceux qui ne sont pas privilégiés. C’est ainsi qu’il examine et critique la façon dont la société les traite.

Il s’insurge contre ce qu’il considère comme un manque de compréhension, osons le dire, une forme d’hinumanité, tant en Roumanie que dans le monde entier. Il espère ainsi que son film « soulèvera des questions sur la manière dont les gens devraient se traiter les uns les autres, sur ce qu’est le véritable amour au sein d’une société et d’une famille », ajoutant : « Je pense que nous pouvons avoir une meilleure société si nous entamons un dialogue, si nous pouvons nous intéresser aux problèmes des autres. »

La question de l’amour inconditionnel

Comment, en tant que chrétien, ne pas déceler là un sujet important, primordial… au cœur même des prérogatives bibliques ? Car le grand sujet traversé derrière cette histoire se situe autour de la question de l’amour inconditionnel.

Ce que la Bible nomme Agape, cet amour divin inconditionnel que nous sommes appelés nous aussi à manifester dans notre relation les uns aux autres, dans notre manière de vivre dans ce monde. Alors, justement… disons-le sans détour : l’Église en prend ici pour son grade, et sans ménagement. Car, au nom de la foi (mais aussi du « quand dira-ton », de l’apparence) on peut parfois dire et faire n’importe quoi (et l’expression est malheureusement tellement faible !). Pour le cinéaste, cet amour de Dieu pour ses enfants devrait inspirer celui entre n’importe quel parent et son enfant, expression de la forme d’amour la plus puissante qui soit, et donc inconditionnel.

Le paysage, un personnage de l’histoire

L’une des grandes réussites de Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde se situe dans l’ambiance esthétique qui se crée naturellement par la région qui sert de cadre à l’histoire. Le paysage est autant un personnage qu’une toile de fond ; Pârvu décrit le delta du Danube comme « l’endroit où la Terre se termine », une région dont la « beauté naturelle pure » offre un contraste saisissant avec le côté hideux de la nature humaine exposé dans son histoire. Le delta est également particulièrement bien placé pour dire le choc des cultures qui éclate ici. Isolé pendant la majeure partie de l’année, il voit soudain affluer des touristes en été, apportant avec eux d’autres mœurs urbaines, d’autres valeurs dans un endroit où les traditions prévalent sur tout le reste. C’est un véritable choc de culture qui se produit alors. Pârvu nous le raconte et reste tout de même très sobre dans son approche, mais sans perdre la moindre efficacité. La violence demeure, par exemple, un éternel hors-champ. Et cela va jusqu’à son terme où, dans la fin proposée, il n’en rajoute pas laissant le spectateur comprendre de lui-même la situation et imaginer possiblement la suite. Difficile de parler de « fin ouverte » mais la résonnance avec le « que celui qui a des oreilles entendent » du Christ fonctionne parfaitement !

Drame du désespoir, Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde, qui sera le candidat roumain pour l’Oscar du meilleur film international en 2025, aurait toute sa place aussi en support à des débats ou autres discussions, en paroisse ou plus largement encore… Mais en attendant, allez le voir en salles.