Peut-être parce qu’il comprit que son fleuve espérait le grand large, un petit nantais choisit d’inventer mille sortilèges. A votre tour, devenez le romancier de l’Afrique et des mondes lointains, grâce à Voyages dans les mondes connus et inconnus qui paraît chez Bouquins (1151 p. 32 €). « Dire la Terre, toute la Terre !, se faire, par le biais des cartes, des publications savantes et des récits d’explorations, gobe-monde plutôt qu’inlassable globe-trotter, telle a été la vocation de Jules Verne (1828-1905) qui aura plus songé que voyagé, plus arpenté, recréé ( et récréé) en visionnaire qu’exploré pied à pied une planète qui fut sans conteste son véritable grand amour », écrit François Angelier, en préface de ce volume épatant. Partir Cinq semaines en ballon, se croire un Capitaine de quinze ans, suivre Trois russes et trois anglais, contempler, même le jour, L’étoile du sud, admirer Le village aérien, quelles plus belles fantaisies ? Bien sûr, il vous faudra pour affronter l’imprévu des réserves de candeur. Mais une fois lancés sur les traces du grand Jules, rien ne pourra vous arrêter.
Les amateurs d’Histoire à l’instant font grise mine, que la géographie laisse de marbre. Attentifs à leur plainte, nous proposons d’abord un ouvrage d’humour et de science, un hommage teinté de critiques. De Versailles à Paris, l’histoire selon Sacha Guitry (Le Cerf, 322 p. 24 €) tient de l’analyse autant que de la promenade. Mathieu Geagea, son auteur, explique de quelle façon l’homme de théâtre et de cinéma s’est penché sur le passé de la France. Il est vrai que Guitry devait se faire pardonner son attitude pour le point discutable durant l’Occupation. Son arrestation spectaculaire, suivie d’une incarcération de trente jours – à l’issue de laquelle, faute de preuves concluantes, le juge d’instruction le libéra– pesait encore sur sa réputation. C’est donc avec passion que le fameux Sacha contribua à réhabiliter le château du Roi Soleil. Oui, vous avez bien lu : grâce au succès phénoménal du film Si Versailles m’était conté, notre patrimoine historique, alors en détresse, bénéficia d’un premier financement de restauration.
Mathieu Geagea, qui dirigea le Mémorial Charles de Gaulle et ne peut donc passer pour complaisant, raconte tout cela, mais plus encore : il décèle toutes les invraisemblances, tous les anachronismes auxquels s’est livré le dramaturge– à faire passer Alexandre Dumas pour Fernand Braudel. Un exemple entre cent? «Le conseiller historique du film, Pierre Lemoine, raconte qu’un matin Sacha Guitry le consulta à propos de l’enregistrement de la scène galante entre les personnages de Louis XIV et de Louise de la Vallière, censée se dérouler dans la Chambre du Roi, note Mathieu Geagea. Pierre Lemoine indique alors que la favorite du roi se trouvait au couvent depuis vingt-cinq ans lorsque cette salle du château fut aménagée pour devenir la chambre à coucher du monarque en 1701. Le cinéaste grogne alors, feint de réfléchir avant de trancher en ces termes : « personne ne s’en rendra compte ». » A se tordre de rire.
Après ce divertissement, vous aurez le goût de l’émotion. Jeunesse, que Pierre Nora publie chez Gallimard (235 p. 18 €) vous accompagnera les soirs d’orage ou les matins de grand bleu. Quelques pages de préambule, et voici La nuit de Hendaye, ou comment la tragédie collective resurgit dans un campus de Berkeley, comment les brouilles d’une famille s’invitent au passage d’une frontière. Ensuite ? Ensuite, on admire le courage de Gaston, grand professeur de médecine qui refuse de quitter son hôpital en dépit du péril nazi, l’engagement de Simon dans le Vercors–et son rôle essentiel après la guerre– on aime surtout le regard de l’auteur. Car enfin, ce n’est pas tout d’avoir édité plus de cinq cent livres d’Histoire et de ce que l’on nomme aujourd’hui Sciences humaines. Il faut avoir encore le cœur à l’ouvrage, une façon de regarder les êtres, une manière de les aimer. Pierre Nora nous offre ses vérités, ses vérités vraies, tendres et drôles, parfois brûlées de drames. Académicien Français par modestie, le bonhomme partage les trois couleurs qui nous chavirent, la France de toujours, avec ses générosités de mère nourricière et ses faiblesses passagères ; il nous dit aussi le lien fort–et délicat cependant– qu’il tisse avec l’antique Religion du Livre. Ah oui, Jeunesse est une merveille et l’on attend le prochain épisode.
Lecteurs, à l’abri des repas qui s’éternisent, du tintamarre des pianos de cuisine et du soleil écrasant, vous vous croyez à Combray, quelle que soit votre villégiature. L’aventure ne fait que commencer. La semaine prochaine, un monarque des mots vous donnera rendez-vous pour célébrer son anniversaire. En grand apparat. Les animaux seront de la fête et nous tous avec eux…