En France, la question religieuse, une des composantes majeures de la dispute nationale depuis la Révolution Française, occupe toujours le débat public. Trois philosophes illustrent cette constatation, chacun suivant son tempérament. Réjouissons-nous de cette variété des points de vue plutôt que de la déplorer.  

Jean-Fabien Spitz, en publiant « La République ? Quelles valeurs ? » (Gallimard, 350 p. 22€) s’insurge contre une forme de manipulation: «la république est caricaturée, invoquée pour renforcer l’identité nationale et réduire les dissidences au silence ». Parmi les éléments d’explication que retient Jean-Fabien Spitz, on note la dépolitisation de la société, l’éviction de la dimension sociale de l’existence, mais encore la façon dont la loi de 1905 est détournée :

« La dénaturation ou, pour reprendre l’expression de Jean Baubérot, la « falsification » de la laïcité, qui a transformé celle-ci d’une législation destinée à garantir la liberté de conscience en une forme de « religion civile » qui  vise à donner au capitalisme l’hégémonie qui lui fait si cruellement défaut. Cette falsification transforme la laïcité en un instrument de combat contre les minorités culturelles tentées par une dissidence parfaitement explicable à l’égard d’un régime social qui les exclut, les précarise, les confine dans les marges tout en recouvrant ces exclusions du manteau de l’égalité civile. »

Et Spitz de parler d’un nouvel intégrisme politique, dont on comprend qu’il vise à l’oppression des faibles dans un contexte ultralibéral.  

Sylviane Agacinski s’interroge d’une autre façon dans son nouveau livre, intitulé « Face à une guerre sainte » (Seuil, 190 p. 18 €) :  

« Sans doute faut-il prendre la mesure de cette crise d’identité traversée par une partie des jeunes générations issues de familles immigrées et en tenir compte pour corriger les politiques économiques, sociales et scolaires afin de lutter contre les discriminations, reconnaît-elle. Pourtant, qu’il s’agisse des conversions à un islamisme politique ou fondamentalisme, ou du basculement dans le jihad, aucun éclairage psychologique ou social ne permet de laisser de côté la teneur religieuse ou politique des doctrines elles-mêmes et le rôle déterminant joué par le prosélytisme islamiste dans le processus de radicalisation. Si l’islamisme offre une réponse à la crise d’identité, il contribue aussi activement à mettre en échec tout processus d’intégration et à fabriquer lui-même cette crise. »

Et Sylviane Agacinski d’alerter sur les objectifs précis fixés par des organisations étrangères, qui veulent déstabiliser, détruire notre modèle républicain. 

Pierre Manent fait paraître « Pascal ou la proposition chrétienne », (Grasset, 425 p. 24 €). Au premier abord, peu de rapport avec l’actualité. On pourrait même parler d’un pas de côté. Mais si l’ancien directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales pose des questions fondamentales au sujet de la foi chrétienne, c’est bien pour encourager les européens à mieux assumer leur héritage, tant il est vrai qu’à ses yeux le christianisme constitue, plus qu’une richesse spirituelle, un bouleversement dont, nous n’avons pas encore pris toute la mesure: « De quelque manière qu’on la juge par ailleurs, il est certain que la religion chrétienne apporte la proposition de vie la plus difficile à recevoir par notre indocile espèce. Elle avance des demandes exorbitantes qui vont à l’encontre des désirs humains les plus universels et les plus puissants… »

On le perçoit, ces trois intellectuels suivent des chemins divers. A partir d’une situation commune, ils tissent des argumentaires personnels – en fonction de leur ancrage, de leurs convictions, de leurs aspirations. Les protestants ne sont pas en reste. Olivier Abel, Philippe Gaudin, Jean-Claude Monod, posent des diagnostics, formulent des propositions, publient des livres. Bien entendu, les uns et les autres se connaissent de réputation, parfois nouent des relations amicales, ou simplement des relations sociales. Qu’importe, au fond, leur degré de complicité, de familiarité. Compte ici la richesse, la variété des points de vue qu’ils nous offrent et que nous pouvons découvrir, comprendre ou essayer de comprendre, voire discuter.

C’est une chance. Mieux, cette chance porte un nom de conquête : la liberté. Nombre de nos concitoyens, pris dans les phares du mensonge, se chantent presque tous les jours une ritournelle sinistre : « En 2027, on sait bien qui va gagner. » Ah bon ? Vraiment ? Eh bien non, vraiment pas. Le pire n’est jamais sûr. Grâce à la lecture des essais, nous pouvons nous préserver des fausses vérités.  Et puis nous pouvons toujours voter, faire vivre la démocratie. Cela peut éviter bien des drames, la démocratie. Tenez, le dimanche 30 octobre, dans un Etat si vaste qu’on le considère à l’égal d’un continent, le cynisme et la violence politique personnifiés ont été vaincus. Et par qui ? Par un vieux combattant perclus d’épreuves, un ancien métallo revenu du diable vauvert, pas toujours épatant quand il choisit ses amis sur la scène internationale, mais suffisamment crédible pour sauver l’essentiel, à la tête d’une coalition alliant la gauche et la droite. Cela vaut bien de fredonner la chanson de l’espérance…