Misant sur le « clacissisme », une certaine douceur et en privilégiant un déroulement paisible, à la façon d’une crème pâtissière, les choses s’épaississent soudain pour livrer une consistance forte, douloureuse et interpellante. 

À la fin des années 50 à Châteauroux, Rachel, modeste employée de bureau, rencontre Philippe, brillant jeune homme issu d’une famille bourgeoise. De cette liaison passionnelle mais brève naîtra une petite fille, Chantal. Philippe refuse de se marier en dehors de sa classe sociale. Rachel devra élever sa fille seule. Peu importe, pour elle Chantal est son grand bonheur, c’est pourquoi elle se bat pour qu’à défaut de l’élever, Philippe lui donne son nom. Une bataille de plus de dix ans qui finira par briser sa vie et celle de sa fille.

Pour tous ceux qui ne connaissent pas la teneur première de l’histoire de Christine Angot, la longue première partie du film se présente avec fraîcheur nous racontant une tranche de vie, celle de Rachel, une femme ouvrière en pleine démarche d’émancipation tout en étant romantique et amoureuse. Une histoire qui puise ses racines dans les rapports de classes car justement, lui, vient d’une classe supérieure… Lui, ce beau gosse beau parleur, se dévoile rapidement à nos yeux comme un pervers narcissique, comme on dit aujourd’hui, mais rapidement suffisamment éloigné d’elle pour qu’à priori les conséquences ne soient pas si graves… enfin juste à priori ! Et rapidement, dans ce contexte, grandit la petite Chantal, accompagnant la progression sociale de sa maman, ses joies et ses peines. Un regard candide y verra une jolie histoire sentimentale, émouvante et nous immergeant admirablement dans cette période historique si particulière, surtout pour les cinquantenaires et au-delà… Mais la crème pâtissière n’est en fait pas encore prise… elle est en devenir… et soudain tout s’éclaire, tout se dévoile, et la crème se fait et le spectateur est pris aux tripes. Le film atteint alors son apogée vers la toute fin, quand les deux héroïnes (Rachel, âgée et Chantal devenue adulte et maman à son tour) se retrouvent et mettent enfin les mots sur leurs histoires, permettant ainsi une résilience sur leurs souffrances. Un grand moment d’émotion entre deux victimes de la domination d’un sale type, mais aussi le dévoilement pour Rachel d’une certaine hérédité paternelle dans l’intelligence et l’aisance de classe qu’elle découvre chez sa fille. Une scène qui vient comme une clé d’interprétation à cet amour impossible.

Pour une telle histoire, et quel que soit le talent de Catherine Corsini, il fallait un casting talentueux. Le choix de la réalisatrice s’est porté en particulier sur Virginie Efira et Niels Schneider. Pour Virginie, c’est une fois de plus, une immense comédienne qui se présente à nous et qui clairement ne cesse de progresser. Justesse bien évidemment mais performance qui va bien au-delà, dans la beauté de la restitution de son personnage, tout en sobriété, dans les moindres détails. Elle rayonne, émeut, nous fait sourire ou pleurer et parvient à relever cet immense défi de vieillir à l’écran avec une certaine vérité, en suivant elle aussi la progression globale du film, s’épaississant avec intensité dans son rôle au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Quant à Niels Schneider, l’acteur franco-canadien trouve sans doute là son meilleur rôle.

Un film utile et beau qui laisse des traces car, même si le choix de de suggérer sans montrer adoucit le propos en apparence, finalement il touche la cible peut-être plus fortement encore.