C’est toujours un plaisir certain de découvrir un nouveau film d’Asghar Farhadi en Festival. Car on sait généralement que l’on va assister à du très bon ! Le réalisateur iranien, qui avait remporté l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2012 avec Une Séparation, est un maître du conte moral tortueux, dans lequel les questionnements éthiques façonnent le scénario.
Rahim est en prison à cause d’une dette qu’il n’a pas pu rembourser. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…
L’œuvre du cinéaste iranien Asghar Farhadi se caractérise par la construction d’histoires à plusieurs niveaux et sous-intrigues pour parvenir à aborder les différentes dérivations ou interprétations d’un même dilemme. Si l’obsession et l’infidélité furent les grands thèmes de ses deux précédents films, respectivement Le Client (2016) et Everybody Knows (2018), c’est maintenant au tour de la notion de bonté et de mal face à la vérité d’être observée telle qu’elle peut être jugée dans une société donnée. C’est ici celle de Shiraz, une ville iranienne où Rahim (Amir Jadidi) a été emprisonné pour n’avoir pu payer une dette qu’il a contractée pour une entreprise qui a fait faillite. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier, qui est aussi son ex-beau-frère, Bahram (Mohsen Tanabandeh), de retirer la dénonciation qui l’a mis derrière les barreaux. Cette idée est renforcée par un événement qui déclenche le drame proprement dit, lorsque la secrète nouvelle fiancée (Sahar Goldust) du protagoniste découvre un sac plein de pièces d’or. Au lieu de les vendre pour payer ce qui lui est dû, Rahim décide finalement de rechercher la femme qui a perdu ce sac pour lui rendre. Un tel acte de générosité est révélé au grand jour et notre héros gagne immédiatement les faveurs de la société, mais ces faveurs peuvent s’estomper aussi facilement (ou plutôt aléatoirement) qu’elles sont apparues. À quelques moments du scénario, il est fait allusion aux réseaux sociaux comme facteur déterminant dans la qualification d’un comportement comme bon ou mauvais, avec toutes les problématiques que cela évidemment implique, bien que Farhadi n’insiste pas trop sur cet aspect postmoderne, préférant conduire son histoire à travers des conflits plus traditionnels.
Les différents tiroirs du scénario évoqués précédemment s’ouvrent progressivement dans ce film en présentant les différents personnages qui entourent Rahim. Plusieurs relations familiales sont impliquées (dont une ex-femme qui apparaît à peine dans l’intrigue mais dont la simple mention joue son rôle), ainsi que les responsables de la prison et ceux d’une association dédiée à la collecte de fonds pour la cause de certains condamnés. Les scènes dans lesquelles ces multiples personnages interagissent sont structurées de manière à ce que chaque dialogue apporte des nuances au thème principal, ainsi que des informations décisives, qui reviennent de temps en temps, naturellement dans la bouche de plusieurs personnages, afin que le spectateur ne se perde pas et intègre ces nouveaux faits au drame. Cette manière de concevoir les dialogues, presque comme des actions en soi, est l’une des belles marques de fabrique de Farhadi, qui donne à son travail une dimension rare. D’une part, elle est nécessaire pour ne jamais perdre de vue le dilemme central, malgré les intrigues secondaires qui, comme nous l’avons dit, s’articulent autour de lui. D’autre part, elle rapproche le drame du thriller, car chaque scène comporte un élément de suspense provenant à la fois du conflit essentiel du protagoniste, dont la liberté est ici en jeu, et des informations qui sont progressivement introduites, contrastant, réfutant, interprétant, bref, jusqu’au point où le spectateur a tout ce qu’il faut pour tirer ses propres conclusions.
Un héros est clairement conçu comme une parabole sur des questions qui dépassent la vie immédiate de ses personnages. L’intention de Farhadi semble être d’abord de questionner la notion même de « héros ». Le film s’ouvre ainsi sur la rencontre entre Rahim et le mari de sa sœur, Hossein (Alireza Jahandideh) chargé d’un projet d’entretien, sur la tombe de Xerxès Ier, roi bien-aimé de la Perse antique. Le fait que l’image des héros doive être entretenue par des équipes constitue l’une des observations fondamentales du film, qui met ensuite l’accent sur la façon dont les reportages et les médias sociaux s’emparent des petites déformations de l’histoire de Rahim qui commencent à s’accumuler. Et l’ascension et la descente de Rahim de l’échafaudage attenant à la tombe est l’un des rares moments presque purement métaphorique d’Un héros, prédisant son ascension et sa chute ultérieures.
Mais la l’héroïsme, cependant, est supplantée par la thématique de la vérité et de sa valeur sociale. Quels sont les mensonges justifiés, quelles sont les motivations qui les poussent et jusqu’où ils doivent aller ? Telles sont les questions éthiques que Farhadi illustre par une montée en tension incessante. Une forme de résolution de cette tension impliquera un éveil paternel centré sur le fils préadolescent de Rahim, qui a un grave contact pour défaut d’élocution. Dans les moments de conflit, la caméra de Farhadi se fait justement souvent un devoir de chercher les enfants dans la pièce, notant silencieusement que la génération suivante est témoin de tout cela et qu’elle devra à son tour naviguer sur un terrain moralement ambigu.
Un héros est un film important dans cette sélection cannoise mais c’est aussi un film à ne pas manquer plus globalement lors de sa sortie programmée pour le 22 décembre. On coche la date !