Le quatorzième film d’Hirokazu Kore-eda, Palme d’or à Cannes, est également nominé aux Golden Globes, dans la catégorie « meilleur film étranger ». Avec « Une affaire de famille », le réalisateur japonais continue une fois de plus sa quête familiale en s’interrogeant sur ce qui nous fait devenir famille, sur les liens qui unissent et qui nous construisent.
Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…
La famille donc au cœur de cette histoire, mais celle-là est carrément hors norme à tout point de vue et se découvre progressivement à nous et ce jusque à la presque fin du film.
Cette famille pas comme les autres est regardée avec empathie et paradoxalement comme une famille normale et heureuse. Toutes les conceptions plus au moins traditionnelles sont balayées, mains non pour les discréditer ou les critiquer mais surtout pour aboutir à des questionnements profonds sur ce qui nous fait être famille, sur ce qui nous rend parents, sur ce qui établit des liens, les solidifie et parfois les brise. « Peut-on être parent sans donner naissance ? », s’est interrogé le réalisateur qui avait déjà abordé cette question dans Tel père, tel fils, Prix du jury à Cannes en 2013. « Les personnages, souligne Kore-eda, ont déjà vécu l’échec dans une première famille, ont échoué en couple et se retrouvent à vouloir commencer, à vouloir reformer une famille qui fonctionne mieux que la précédente. » Et l’arrivée de la petite fille redistribue alors les rôles de chacun, faisant du jeune garçon un grand frère et réveillant peut-être aussi l’instinct maternel de la mère.
Alors ici pas de réponses toutes faites ni de leçons données, mais le choix de la patience, de la précision, de la retenue et surtout de l’émotion qui se développe dans une approche poétique délicieuse. Ici, même la pauvreté, la souffrance et l’amoralité peuvent paraître belles sous le regard du maître japonais, mais sans complaisance aisée, avec grâce et tendresse.
Délicieux… Et bien Une histoire de famille est justement aussi un film gourmand. La métaphore de la nourriture, ultra présente (on a parfois l’impression que manger est le socle de la construction familiale dans cette histoire), nous parle d’une certaine jouissance de l’existence, du désir de vivre quelques soient les raisons et les situations. Oui, on a le sentiment que le bonheur déborde de partout et de chaque image, même, encore une fois, au cœur d’expériences faites de douleurs, d’amertumes et d’abandon, mais finalement pleines d’amour. Un amour qui se questionne là-encore avec Kore-eda. Il nous en présente des facettes étonnantes pleines de déséquilibres, de complexités, qui peuvent même vraisemblablement nous mettre aussi mal à l’aise mais qui pourtant bouleversent le spectateur, sans doute à cause de cette puissance qui ne se trouve que précisément dans l’amour.
Une affaire de famille, c’est l’histoire d’hommes et de femmes tous différents et liés à la fois. Et comme à son habitude, le cinéaste parvient parfaitement à s’attacher à ses personnages incarnés et dirigés merveilleusement. Un équilibre permanant entre proximité et distance. Avec une place de premier choix donnés aux enfants prouvant encore une fois que Kore-Eda sait les filmer comme nul autre.
Un récit poignant, tendre, attachant et profond qui s’écrit dans l’obscurité de l’existence pour en faire apparaître une immense et bouleversante lumière… pleine de grâce !