Ce premier long-métrage de la jeune cinéaste, salué pour sa sincérité et son authenticité, propose une plongée à fleur de peau, toute en émotions, dans la jeunesse rurale du Jura. Au cœur de ce film, une histoire à la fois simple et touchante : celle de Totone, un jeune de 18 ans, qui se retrouve à devoir tout gérer à la suite de la mort soudaine de son père, un producteur de fromages. S’ensuit un parcours où il doit non seulement assumer la charge de sa petite sœur de 7 ans, mais aussi trouver un moyen de subvenir à leurs besoins et de rester ensemble.

Le scénario repose ainsi sur une très jolie trame familiale, mais il est également imprégné des difficultés économiques et sociales propres au milieu rural.

Totone, en quête de solutions pour s’en sortir, décide de se lancer dans un défi ambitieux : réaliser la meilleure meule de comté de la région, dans l’espoir de remporter un concours agricole et les 30.000 € qui vont avec. Ce plan, à la fois fou et logique pour un fils de fromager, sert de point de départ à une exploration plus large des problématiques qui touchent les jeunes du monde agricole. Le film interroge notamment leur rapport au travail, à la terre, et à un héritage parfois lourd à porter.

Une jeunesse livrée à elle-même

Louise Courvoisier, en s’appuyant sur sa propre expérience de la région, brosse un portrait réaliste de cette jeunesse. Totone et ses amis sont des personnages ancrés dans un quotidien parfois rude, mais qui n’est jamais représenté sous l’angle de la misère ou du drame. Au contraire, Courvoisier cherche à mettre en lumière la débrouillardise et la solidarité de ces jeunes, souvent livrés à eux-mêmes. Le film aborde leur isolement, non seulement géographique, mais aussi émotionnel, par rapport à un monde adulte qui semble distant, voire absent. C’est précisément ce vide que Totone doit combler en devenant malgré lui le chef de famille.

Totone, campé par Clément Faveau, incarne cette jeunesse à la croisée des chemins, tiraillée entre le poids des responsabilités et une insouciance juvénile. Faveau, apprenti éleveur de volaille dans la vraie vie, apporte une authenticité désarmante à son personnage, renforcée par le choix de la réalisatrice de faire appel à des acteurs pour l’essentiel non professionnels. Ce casting ancre encore davantage le film dans une réalité brute, loin des clichés du cinéma traditionnel sur la campagne française.

La ruralité sublimée

Le Jura, avec ses paysages accidentés et ses fermes familiales, devient un personnage à part entière dans Vingt Dieux. Louise Courvoisier filme cette région avec un amour évident, capturant la beauté des gestes simples : la traite des vaches, la fabrication du fromage, ou encore la conduite de tracteurs sur des routes désertes. Ce soin apporté à la représentation de la vie rurale est un des points forts du film, qui évite le piège d’une vision trop romantique ou misérabiliste. Ici, la campagne n’est pas un simple décor bucolique, mais un espace de lutte et de survie, où chaque geste est chargé de sens et où la dimension humaine l’emporte malgré tout.

Ce rapport étroit entre l’homme et la terre se retrouve dans la quête de Totone pour produire le meilleur comté. Le film rend un hommage vibrant aux traditions artisanales de la région, en filmant avec minutie les différentes étapes de la fabrication de ce fromage. Cet aspect culinaire du film apporte une dimension sensorielle qui participe à l’immersion du spectateur dans le quotidien du jeune homme, tout en soulignant la fierté régionale pour ce produit phare du Jura.

Un film sur la résilience

Sous ses airs de chronique locale, l’histoire aborde néanmoins des thématiques plus larges et universelles, telles que le deuil, la résilience et la transmission. La relation entre Totone et sa petite sœur est particulièrement émouvante, évoluant tout au long du film pour aboutir à une forme de tendresse réciproque. Ce lien fraternel, renforcé par l’absence des parents, donne lieu à des moments d’une grande intensité émotionnelle, notamment lors d’une scène de dégustation de fromage, où se mêlent tristesse et espoir.

Louise Courvoisier, en s’éloignant des représentations traditionnelles de la ruralité souvent associée à la misère ou au drame, propose une lecture plus nuancée et positive de ces vies campagnardes. C’est un film sur la force intérieure, sur cette capacité à se relever face aux épreuves, même lorsque tout semble perdu. De ce point de vue et par l’apport de la « gentille » filouterie qui s’initie dans la trame scénaristique, Vingt Dieux entre en écho à La part des anges de Ken Loach. Autre culture, autre jeunesse, autre produit du terroir (comté vs whisky) mais même soucis des cinéaste de nous proposer un point de vue essentiel et surtout plein d’empathie pour leurs personnages.

Une œuvre lumineuse

Avec En Fanfare (les deux ayant d’ailleurs aussi de nombreux points communs, même si les récits sont très différents), Vingt Dieux s’annonce comme un film majeur pour cette fin d’année, autant par la justesse de son propos que par la sincérité de son approche. Avec des récompenses déjà nombreuses, telles que le Prix de la Jeunesse Un Certain Regard au Festival de Cannes et le Valois de diamant au Festival du film francophone d’Angoulême, ce film s’impose comme une œuvre prometteuse et marque l’entrée remarquée de Louise Courvoisier dans le monde du cinéma.