La remarquable compagnie suisse Interface investit plusieurs soirs par semaine le joli théâtre de la Gaité Montparnasse à Paris. Elle y présente Vive la vie le quatrième épisode de sa pentalogie Les âges de la vie rassemblant de façon assez étonnante et admirable plusieurs expressions artistiques du spectacle vivant comme le chant lyrique, la danse, le cirque, et bien évidemment le théâtre. Une heure d’une efficacité rare, sans aucun temps mort, pour aborder un sujet passionnant !

Vive la vie nous invite à suivre les évolutions de la société rurale suisse au 20ème siècle au travers d’une saga familiale : arrivée de l’électricité dans la ferme, travail occasionnel sur les chantiers de barrage puis salariat à l’usine. Les femmes quittent leur tablier pour la mini-jupe, c’est l’avènement de la société de consommation où, dit l’un des personnages, “il y a toujours plus de trucs à acheter”.

Il m’est rarement arrivé personnellement de sortir d’un théâtre avec un tel sentiment : cette impression d’avoir assisté à quelque chose d’unique, de beau, de parlant… avec une quasi perfection dans une pluralité de genres qui se marient merveilleusement bien. On est bien, comme s’étant pris en pleine face une bouffée d’amour et de joie de vivre. Alors bien sûr, dit de la sorte, cela peut surprendre, voire même être étrange. Mais c’est tout simplement une vraie émotion ressentie et, semble-t-il, partagée par le public dans le couloir de la Gaité Montparnasse, à entendre les commentaires. Un public qui d’ailleurs ne cesse de croître, le bouche à oreille faisant naturellement son effet ! Oui, il y a sans doute une part de génie chez le metteur en scène André Pignat et de son équipe autour de lui, mais aussi beaucoup de bienveillance et d’amour du beau et de la délicatesse.

Comme je l’évoquais déjà, la particularité de Vive la Vie est de mélanger les genres tout simplement, sans forcer. Alors il y a tout d’abord du texte, des mots captivants et tellement riche de sens. Des questions se posent tout au long de l’histoire qui se joue – ou dirais-je plutôt, se vit – devant nous, interpellant notre réflexion, sans jugements à l’emporte-pièce. Transformations sociales, évolution, technologie, la place de la famille, de la transmission… une sorte d’éveil à une histoire qui est la nôtre aussi. Les mots passent aussi par des postures, des arrêts sur attitudes. Et puis les corps se muent avec grâce et puissance. Les dansent rythment les changements d’époque et les mutations de vie. Mais l’œil se trouve soudainement attiré par un jeune homme qui, comme un « petit prince », vient bousculer le spectateur à mille milles de ses habitudes habitées. Il ne nous demande pas de dessiner quoi que ce soit, il reste d’ailleurs discret, mais présent et enchanteur par des gestes habiles qui font mouvoir des objets, des formes et habillent tendrement, en quelque sorte, la joyeuse folie du plateau. Mais je parle de danses, de mots… et le son et les voix ? Car que serait la vie sans musique ? Eh bien justement, ici, elle nous prend aux tripes, et ne nous lâche jamais par son intensité exceptionnelle qui s’inscrit dans une constante harmonie. Que le chant soit lyrique en solo ou qu’il devienne polyphonique, il envoûte littéralement et régulièrement nous fait « dresser les poils » joyeusement ! Des textes de chants fait de consonances latines et autres sonorités où l’inconscient collectif vous donne étonnamment de comprendre même ce qui ne l’est pas.

Le bonheur est dans le pré, disait le poète… Interface le propose ces jours-ci en ville, à Paris… et alors, courons-y vite car il va filer !