Il existe parfois des films et des réalisateurs par voie de conséquences, qui vous impactent si fort qu’une forme d’adéquation naturelle s’opère ensuite. C’est un peu mon expérience avec Les bêtes du Sud-sauvage (Beasts of the Southern Wild) de Benh Zeitlin, en 2012 lors de mon premier Festival de Cannes comme membre du Jury œcuménique. Depuis, en quelques sortes, j’attends la suite… et voilà que sort ce mercredi 23 juin, enfin, Wendy !
Elevée par sa mère célibataire, Wendy s’étiole dans un quotidien dénué de magie. Un soir, la fillette part à l’aventure en sautant dans un train en marche avec ses deux petits frères, les jumeaux James et Douglas. Au terme du voyage, ils débarquent sur une île mystérieuse, où les enfants ne semblent pas vieillir et où règne un garçon rebelle, nommé Peter Pan.
La dernière chose dont nous ayons besoin actuellement serait d’une autre version de l’histoire merveilleuse de Peter Pan. Si vous voulez vraiment prendre un moment avec le conte de J.M. Barrie, vous aurez l’embarras du choix parmi la bonne douzaine d’adaptations cinématographiques existantes, qu’il s’agisse de films d’animation avec notamment le grand classique des studios Disney en 1953, ou des films en prise de vue réelle, centrées sur un Peter adulte ou racontées du point de vue du pirate, le capitaine Crochet. Et pourtant…
Car oui, le Wendy de Benh Zeitlin trouve ses racines dans la même histoire, mais pour se développer et grandir autrement. Son histoire doit beaucoup aux thèmes de Peter Pan dans son exploration d’une jeune imagination débridée au cœur d’une situation menaçante. Wendy est, plus ou moins, une continuation de cette histoire et, d’une certaine façon, de celle, merveilleuse aussi, que nous a raconté Zetlin dans ses Bêtes du Sud Sauvage. Wendy existe ainsi quelque part entre les mondes de Pan et de Hushpuppy, la jeune héroïne du bayou. À l’instar de son premier long métrage, le réalisateur New-yorkais, de bientôt 40 ans, capte ses images à travers l’œil imaginatif d’un enfant, en suivant un parcours libre et déstructuré qui laisse une large place aux méandres philosophiques. Les points de comparaison entre les deux films de Zeitlin sont d’ailleurs nombreux, qu’il s’agisse de l’esthétique en plans rapprochés et intimistes, filmé à la main, de la narration à la Terrence Malick sur fond de splendeur poétique de la nature, de l’utilisation d’acteurs non professionnels dans les rôles principaux ou de la musique énergique spécialement conçue par le réalisateur et Dan Romer pour renforcer le style de montage et contribuer avec assurance à faire avancer l’intrigue. Il emmène les acteurs et l’équipe sur l’île antillaise de Montserrat, dont il intègre l’importance historique dans le scénario (le volcan de la Soufrière a forcé les deux tiers de la population à fuir à la fin des années 1990), pour créer Neverland à partir de sa beauté faite de désolation et d’exotisme. Sa magie inhérente devient finalement un personnage à part entière à travers la personnification de son pouvoir de création (et de destruction) sous la forme de la créature marine « Mère » qui ne manque évidemment pas de portée symbolique métaphorique.
En réécrivant totalement le conte de Peter Pan, Zeitlin en fait une fable écologique fantastique et carrément envoûtante pétrie d’une grande spiritualité. Un ressenti qui se construit, notamment aussi, grâce aux performances des jeunes acteurs absolument remarquables. Les enfants sont vraiment très bons et notamment Devin Frances dans le rôle de Wendy, Yashua Mack en Peter Pan, sans oublier les jumeaux Gage et Gavin Naquin qui sont les frères de Wendy. Enfin Yashua Mack, qui joue Peter propose une prestation tout simplement grandiose.
Alors, osez l’aventure… et en route pour une cavalcade vers l’imaginaire. N’écoutez pas les mauvaises langues ou ceux qui ne savent pas se laisser embarquer. Wendy c’est carrément une expérience à vivre !