Une œuvre extrêmement puissante qui est en plus un saisissant portrait de femmes.

Iran, de nos jours. Maryam, 22 ans, tue accidentellement son mari Nasser, 65 ans. Elle est condamnée à mort. La seule personne qui puisse la sauver est Mona, la fille de Nasser. Il suffirait que Mona accepte de pardonner Maryam en direct devant des millions de spectateurs, lors d’une émission de télé-réalité. En Iran cette émission existe, elle a inspiré cette fiction.

Le paradoxe de la télé-réalité a toujours été qu’elle n’a pas grand chose à voir avec le réel précisément. Au contraire, son objectif premier serait plutôt de savoir où se situe la limite entre performance et authenticité, et les films sur la télé-réalité explorent fréquemment cette dichotomie. Comment, par exemple, Katniss Everdeen s’efforce de tromper son public dans la franchise Hunger Games en lui vendant une version d’elle-même et de sa relation avec Peeta Mellark. On peut penser aussi doute existentiel dont souffre le personnage interprété par Jim Carrey dans The Truman Show lorsqu’il apprend que sa vie entière a été télévisée. Quels choix faites-vous différemment quand vous savez que vous êtes l’objet d’un examen minutieux et sans fin ? Comment préserver votre identité lorsque vous êtes confronté à un jugement décisif ? Telles sont, en quelques sortes, certaines des profondes questions abordées par Yalda, la nuit du pardon du cinéaste iranien Massoud Bakhshi, dans un environnement très particulier. Car c’est à une forme de tribunal populaire iranien que nous sommes conviés… mais transporté sur le plateau d’une émission de télé-réalité. Se déroulant pendant une fête iranienne qui met l’accent sur la renaissance spirituelle et le pardon, Yalda suit une jeune femme qui hésite entre défendre ses choix et mendier sa vie. Avec des personnages féminins issus de tous les coins de la société iranienne, la représentation de la féminité – mère, fille, sœur, alliée du gouvernement, sceptique – reflète une culture dans laquelle l’ »apparence scénique » et la réalité sont profondément imbriquées.

Filmé sous forme de huis clos, le film se déroule pendant toute une nuit, en référence à Yalda, cette fête qui marque le début de l’hiver et la nuit la plus longue de l’année. La célébration du solstice d’hiver a ses racines dans la religion zoroastrienne, et son observance se poursuit jusqu’à ce jour, bien que l’Islam chiite se soit implanté en Iran au 15ème siècle. Le nom de Yalda est un mot syriaque (langue ancienne sémitique proche de l’araméen) qui signifie littéralement « naissance » et qui ferait référence à l’arrivée dans l’empire Sassanide des chrétiens persécutés par l’empire romain. Yalda, c’est la victoire de la lumière sur les ténèbres : on rend hommage à Mithra, la divinité zoroastrienne du feu et du soleil, en mangeant des fruits au cœur rouge (grenades, pastèques conservées précieusement depuis l’été) et en lisant des poèmes de Hafez. La fête est censée être une célébration, mais ici, cette joie est vite éclipsée : on suit minute par minute le sort d’une jeune femme, Maryam, invitée de l’émission de divertissement le Plaisir du pardon. Se déroulant donc cette nuit définie aussi comme la nuit « la plus longue et la plus sombre » de l’année, le destin en équilibre au cœur du film n’est pas sans rappeler la nuit de vérité et de jugement décrite dans la pièce d’Ariel Dorfman, Death and the Maiden, adaptée par Roman Polanski en 1994.

Les possibilités morbides de la télé-réalité ont été maintes fois exploitées et imaginées depuis bien longtemps. Bertrand Tavernier a dépeint un avenir où, l’humanité n’étant plus sujette à la maladie mentale, une femme jouée par Romy Schneider mourant d’un cancer est secrètement enregistrée par Harvey Keitel pour une émission de télévision. Plus risible est le téléfilm de Tommy Lee Wallace de 1994 (dont l’action se déroule en 1999) dans lequel Sean Young tente d’empêcher la diffusion de l’exécution d’un condamné à mort. Bakhshi concocte lui quelque chose d’un peu plus contemporain, avec un concept de télévision plus que plausible puisqu’existant en Iran. 

La comédienne Sadaf Asgari dans le rôle dramatique de Maryam se présente comme une victime des circonstances, une jeune femme dont les accès d’émotion incontrôlables menacent de ruiner ses chances de rédemption mais semblent, par là-même, lui assurer pourtant une audience télévisuelle incroyablement forte. Elle est juxtaposée à Mona, une femme très froide et intransigeante, jouée par l’excellente Behnaz Jafari, récemment vu dans Trois visages, de Jafar Panahi. C’est dans ce duo d’opposition que se mêle l’intensité dramatique du film. Un face-à-face intense, où la tension ne cesse de croitre, le tout entrecoupés de chansons sirupeuses et de lectures religieuses, sous les yeux d’un producteur avide de sensationnel. Mona n’a aucun désir de pardonner et de gracier Maryam, mais cela lui permettrai de recevoir une somme considérable, le « prix du sang », assez pour quitter le pays et recommencer à zéro. Mais le pardon, comme la vengeance, est une épée à double tranchant, et Bakhshi positionne son final de manière à ouvrir plus largement. On peut repenser ici aux mots de Mark Twain, écrivain, essayiste et humoriste américain « le pardon est le parfum que la violette répand sur le talon qui l’a écrasé », une pensée qui tente à renforcer les envies répétées chez Mona de voir combien « le pardon est beau » alors que le spectacle avance – elle n’est bien sur pourtant pas là pour célébrer la beauté de l’altruisme. Mais ici, le pardon est une carotte alléchante et paradoxalement nocive, aussi tordue et socialement souillée que le précipice opposé auquel Maryam fait face – et c’est cette intersection surprenante qui fait de Yalda un sujet passionnant. Enfin, La force de Yalda, la nuit du pardonest d’avoir circonscrit le récit à la durée de l’émission. Ainsi il nous place tous finalement, avec une certaine intelligence et du savoir-faire cinématographique, dans une position similaire à celle des téléspectateurs du show télévisé, qui sont appelés à se prononcer par SMS : celle de devoir juger les parties en présence, ces personnages décrits exclusivement, à l’antenne comme en dehors, du point de vue de leur moralité ou absence de moralité, et non dans la perspective d’en finir précisément avec cette manière de faire.

Le cinéma iranien d’aujourd’hui est vraiment séduisant par une forme de puissance qui touche à la liberté. Par le divertissement, il ose révéler des drames que vit un peuple aujourd’hui encore mais par là-même, sous forme parabolique, éveille tout autant nos consciences à des risques auxquels nous aussi nous sommes confrontés. Yalda, la nuit du pardon en est un bien bel exemple !