L’Allemagne prendra dans moins de deux mois, et pour une période de six mois, la présidence tournante de l’Union européenne. Du 1er juillet au 31 décembre 2020, elle sera chargée d’organiser le travail des Etats membres, de présider les réunions du Conseil des ministres (à l’exception du Conseil des affaires étrangères, présidé par le haut représentant, Josep Borrell), d’établir les compromis nécessaires entre les gouvernements, ou entre ceux-ci et le Parlement européen. La chancelière allemande sera donc, pendant la durée d’un semestre, la présidente de l’Europe. Elle sera appelée à définir les priorités de l’Union européenne, à fixer son calendrier et ses objectifs, à lui donner les impulsions qu’elle jugera nécessaire. Elle pourra, dans le respect de l’indispensable consensus, imprimer sa marque sur la construction européenne au moment où celle-ci s’interroge sur son avenir.

Angela Merkel n’aura certes pas les mains libres pour diriger l’Europe à sa guise et en modifier le cours. D’abord parce que les pouvoirs de la présidence tournante sont limités et qu’ils ont été encore réduits par la création, en 2007, d’une présidence permanente du Conseil européen, assurée depuis le 1er décembre 2019 par l’ancien premier ministre belge Charles Michel, qui préside les sommets des chefs d’Etat et de gouvernement ; ensuite parce que la chancelière allemande, en vertu des textes qui fondent l’Union européenne, ne peut pas imposer sa volonté à ses partenaires et que sa seule arme pour les pousser à agir est celle de la persuasion. Il n’empêche que la présidence tournante, lorsqu’elle est assurée par une des grandes puissances de l’Union européenne, dispose d’une autorité qui peut lui permettre d’infléchir fortement les politiques européennes.

Prudence et sang-froid 

Angela Merkel est d’autant mieux placée pour favoriser la nécessaire relance de l’Union européenne qu’elle sort renforcée de la crise du coronavirus. Alors qu’on la disait à bout de souffle, sans vision ni énergie à quelque seize mois des élections législatives de septembre 2021 qui marqueront la fin de son mandat, elle a su se remettre en selle pour se placer au centre du jeu, en Allemagne comme en Europe. Sa gestion de la pandémie a fait taire la plupart de ses critiques. On dénonçait naguère son attentisme, on vante aujourd’hui la prudence et le sang-froid dont elle a fait preuve ; on la jugeait mauvaise communicante, on loue la façon posée et précise dont elle s’est adressée à ses compatriotes ; on s’inquiétait de son inertie, on constate que l’Allemagne a mieux réussi que ses voisins dans la lutte contre la pathologie, avec moins de morts et des équipements médicaux en nombre suffisant.

La chancelière allemande n’a pas seulement fait face avec succès à la pandémie dans son propre pays, elle s’est également impliquée dans la réponse de l’Union européenne, à la recherche du point d’équilibre entre pays du Nord et pays du Sud, toujours divisés sur le niveau des dépenses publiques et la question de l’endettement. Plus populaire que jamais en Allemagne, plus forte que jamais en Europe, la voici en situation de montrer la voie du changement pour sauver une Union plus que jamais en danger. Sa présidence européenne peut être l’occasion de ce rebond. Elle peut, au sortir de la crise, renforcer le sentiment d’appartenance des Européens et apporter un nouvel élan, au nom de la solidarité retrouvée, à leur commune ambition.

Les appels à la refondation de l’UE se multiplient. L’un des derniers en date, publié dans Le Soir de Bruxelles, émane de personnalités reconnues du monde économique européen. « Sans un nouveau patriotisme européen, le déclin de l’Union sera inévitable », affirment ses signataires, qui ajoutent : « La situation de l’UE n’a jamais été aussi grave et des décisions manquées peuvent pousser des millions de citoyens vers l’euroscepticisme et le nationalisme avec des conséquences imprévisibles ». A ces sombres perspectives ils opposent un grand projet de relance, fondé notamment sur l’unité, la force et la stabilité de l’eurozone. Mme Merkel saura-t-elle incarner ce nouveau patriotisme européen, expression d’une souveraineté commune ? Si elle relève ce défi, elle entrera au Panthéon de l’Europe.