A force d’encourager les nationalismes, il arrive que ceux-ci se retournent contre leurs promoteurs en suscitant des effets inattendus. C’est ce qui pourrait bien se produire au Royaume-Uni où le Brexit, expression de la volonté d’une majorité de la population de se séparer de l’Union européenne, a donné naissance à deux autres séparatismes, en Ecosse puis en Irlande. Le combat des Britanniques pour se libérer de l’emprise présumée de l’Europe a en effet incité les Ecossais et les Irlandais à redoubler d’efforts pour s’émanciper non de la tutelle de Bruxelles mais de celle de Londres. Ce n’est pas l’Union européenne que ces deux peuples ont perçue comme un obstacle à leur affranchissement mais bel et bien la Grande-Bretagne, à laquelle les unit pourtant des liens historiques.

Il était difficile d’imaginer, il y a quelques années, qu’un nombre significatif d’Ecossais réclameraient un jour l’indépendance de leur pays en affirmant, par la voix de sa première ministre, Nicola Sturgeon, chef du Parti national écossais, que « l’Ecosse doit avoir le choix de son propre avenir » et que celui-ci passe par sa rupture avec le reste du Royaume-Uni. Qui aurait cru que le Parti national écossais, qui porte cette revendication depuis plus d’un demi-siècle, deviendrait le parti dominant en Ecosse, raflant la quasi-totalité des sièges aux élections législatives britanniques de décembre 2019 ? Certes le succès n’est pas encore au rendez-vous puisqu’une majorité d’électeurs (55,30 %) a voté non en 2014 au référendum d’indépendance mais le Brexit a rebattu les cartes : les nationalistes écossais, largement pro-européens, en tirent argument pour demander un nouveau vote.

L’Europe est en effet au cœur de la question. Pour Nicolas Sturgeon, Boris Johnson a reçu mandat pour faire sortir l’Angleterre de l’Union européenne mais il n’a pas reçu celui de faire sortir l’Ecosse. Le nationalisme écossais, il faut le souligner, n’est pas un nationalisme de repli. Ce que redoutent les Ecossais, c’est d’être enfermés dans une Grande-Bretagne qui se barricaderait. Dans un discours devant le Parlement écossais en 2016, cité par le magazine Vanity Fair, la première ministre rappelait que la population écossaise est le produit d’une immigration massive, venue des quatre coins du monde. « Nous sommes, disait-elle notamment, les 80.000 Polonais, 8.000 Lituaniens, 7.000 Français, Espagnols et Allemands, et ceux venus de tant d’autres pays plus lointains, que nous sommes si privilégiés d’avoir parmi nous ». C’est contre cette ouverture qu’ont voté les Brexiters.

La réunification inévitable ?

En Irlande, c’est le succès du Sinn Fein aux élections législatives de février 2020 qui a relancé la question de la réunification entre le Nord et le Sud. Avec 24,5 % des voix, le parti nationaliste est devenu la première formation de la République d’Irlande, sous la conduite de son énergique et ambitieuse dirigeante, Mary Lou McDonald, qui a beaucoup fait pour le sortir de sa marginalité. Il a devancé les deux partis de droite, le Fine Gael du premier ministre sortant Leo Varadkar et le Fianna Fail qui l’a précédé au pouvoir, deux partis qui alternent à la tête du pays depuis près d’un siècle. Même si son résultat ne lui assure pas la direction du nouveau gouvernement, faute d’alliés, sa performance bouleverse le paysage politique. Le Sinn Fein a fait de la réunification de l’île son principal objectif. L’ancien premier ministre Bertie Ahern, grande figure du Fianna Fail, a jugé que celle-ci était désormais « inévitable dans la décennie qui vient ».

Le Sinn Fein présente la particularité d’être présent dans les deux parties de l’île. Au Nord, il est la deuxième force politique de la province, presque à égalité avec le Parti unioniste démocrate (DUP). Il est associé à l’exécutif que dirige l’unioniste Arlene Foster et dont la vice-première ministre, Michelle O’Neill, est la dirigeante du Sinn Fein en Irlande du Nord. La province a voté en majorité contre le Brexit. Nombreux sont ceux qui voient dans la réunification avec la République d’Irlande la meilleure façon de rester dans l’Union européenne. Selon un récent sondage, cette proposition l’emporterait, de justesse, en Irlande du Nord, en cas de référendum. Un tel référendum est souhaité par une majorité d’électeurs en Irlande du Sud. La victoire du Sinn Fein rend cette perspective plausible, vingt ans après l’accord du Vendredi saint qui a mis fin, en 1998, à plusieurs décennies de violences.

La question irlandaise a été au centre de la négociation sur le Brexit. L’accord conclu par Boris Johnson avec l’Union européenne a introduit une première brèche entre Belfast et Londres, en maintenant l’Irlande du Nord, à la différence du reste du royaume, dans l’union douanière européenne. C’était ouvrir la voie à l’unification de l’île, perçue comme un ensemble économique homogène, en attendant d’être considérée comme une entité politique solidaire. Naguère associé à l’Armée républicaine irlandaise (IRA), dont il apparaissait comme la vitrine politique, le Sinn Fein s’est assez assagi pour rassurer les électeurs. Il a choisi, sous la conduite de son ancien président, Gerry Adams, de renoncer à la violence et de participer aux élections. Au moment où, en Irlande du Nord, les protestants, qui souhaitent demeurer au sein du royaume, sont sur le point de perdre leur majorité démographique au profit des catholiques, partisans du rattachement à la République d’Irlande, la stratégie pourrait se révéler payante.