Il semble que l’actualité préfère le sang et les larmes aux démarches de reconstruction progressives qui se mettent en place. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus le Venezuela voisin qui attire les regards.

Pour ma part, j’ai eu la même impression, en sillonnant les rues de Bogota, qu’en parcourant, il y a trois ans de cela, les rues de Santiago du Chili. C’est presque incroyable de se trouver dans un lieu où les armes, les relations violentes, le danger, avaient le dessus peu de temps auparavant et de croiser des personnes qui vaquent à leurs occupations. Le théâtre des guerillas rurales a souvent été éloigné de la capitale. Mais les épisodes violents antérieurs l’avaient frappée de plein fouet.

Bon. Pas d’enthousiasme excessif non plus. Il y a d’autres guérillas que les FARC et, notamment, l’ELN, qui n’ont pas déposé les armes. De longues discussions sont en cours, actuellement, avec l’ELN, mais elles n’ont pas abouti. Et puis d’autres guérillas moins structurées persistent ici et là. Pendant ce temps de nombreux coups de canifs sont donnés dans les accords signés avec les FARC. Il est vrai que le gouvernement qui a signé ces accords a été battu aux élections suivantes. Le spectre d’une reprise des actions violentes n’est donc pas à écarter.

Quand la paix reprend le dessus

Il n’empêche. La Colombie a une longue histoire de violences et de guerres civiles, au moins depuis l’assassinat de Jorge Eliécer Gaitán en 1948, qui a mis le feu aux poudres. Et la fragile dynamique actuelle va à rebours de cette histoire. Alors qu’en Europe des fractions de plus en plus importantes de la population ne jurent que par l’exacerbation des rapports de force et de la méfiance, je suis impressionné par les situations historiques où les ressources des conflits s’épuisent et où les belligérants finissent par signer des accords de non-agression mutuels et essayent de reconstruire laborieusement les bases d’une vie sociale commune.

Et cela me conduit à passer en revue différents moments qui sont survenus pendant ma propre vie et qui montrent que la paix prend parfois le dessus, au fil du temps.

  • J’avais 6 ans quand le mur de Berlin a été édifié.
  • J’avais presque 7 ans quand les accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie, ont été signés.
  • J’avais 13 ans quand Martin Luther King et Bob Kennedy ont été assassinés. La même année les chars soviétiques sont entrés à Prague pour mettre fin au « printemps de Prague ».
  • J’avais 19 ans quand un coup d’état soutenu par les Etats-Unis a porté au pouvoir au Chili le dictateur Augusto Pinochet.
  • J’avais 26 ans quand la loi martiale a été imposée en Pologne pour mettre un terme aux revendications de Solidarnosk.
  • J’avais 33 ans quand Pinochet a perdu un référendum en forme de plébiscite ; ce qui a, progressivement, mis fin à ses fonctions.
  • J’avais 34 ans au moment de l’effondrement mur de Berlin.
  • Moins de deux ans plus tard, le système d’apartheid a été aboli en Afrique du Sud.

J’arrête là cette énumération qui n’a rien de systématique. Je parle d’événements qui m’ont frappé quand ils se sont produits. Il y en a eu bien d’autres, heureux ou malheureux. Il semblerait que depuis l’attentat contre les tours jumelles (j’avais 46 ans) une sorte de pessimisme désespéré ait envahi l’horizon.

Mais, pendant ce temps-là, des acteurs continuent leur travail de fourmi pour essayer de produire la paix et la réconciliation. C’est l’occasion de dire que justice et paix ont partie liée. On voit parfaitement que les inégalités importantes qui subsistent en Colombie font partie du problème. D’un quartier à l’autre de Bogota on peut avoir des impressions contrastées. Il y a une forte opposition entre centre et périphérie. Il y a, également, des clivages marqués entre les villes et leurs arrières-pays.

Mais quand même : alors que la guerre et l’affrontement physique apparaissent souvent comme la solution rapide et efficace, je tire mon chapeau à tous ceux qui prennent conscience des impasses où ils mènent finalement.

La prise en compte de l’ennemi : tout sauf de la naïveté béate

Ces processus longs complexes et périlleux pour produire des accords mutuellement acceptables et, si possible, durables montrent que se tourner vers notre ennemi, comme l’évangile nous y incite, n’a rien à voir avec un romantisme simpliste.
Cela implique, au minimum, d’entendre et de comprendre le point de vue et les revendications de l’autre et de produire quelque chose à partir de là. Pour beaucoup des acteurs qui essayent de jouer ce jeu là, c’est un dur labeur qui engendre frustrations et déceptions.

Et tout cela n’a de sens que si on garde la conviction et l’espérance que cela vaut la peine, finalement.
A Santiago du Chili en 2016, à Bogota en 2019, j’ai vu que cela valait la peine, même si beaucoup reste à faire.

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