Les dirigeants européens viennent de donner le coup d’envoi d’une vaste consultation publique, appelée Conférence sur l’avenir de l’Europe, qui doit permettre dans un an, sur la base des propositions issues des multiples débats organisés dans les vingt-sept Etats membres, de redéfinir les grandes orientations de l’Union. « L’Union européenne doit montrer qu’elle est capable de répondre aux préoccupations et aux aspirations des citoyens », affirment les présidents des trois institutions bruxelloises (Commission, Conseil, Parlement) dans une déclaration commune dont le titre exprime clairement le sens de l’opération : « Dialoguer avec les citoyens pour promouvoir la démocratie ».

Tous les Européens sont donc invités à dire ce qu’ils pensent de la construction européenne, ce qu’ils en attendent et ce qu’il faudrait changer, selon eux, pour qu’elle soit plus conforme à leurs espérances. Il s’agit, a annoncé Emmanuel Macron en lançant l’initiative le 9 mai à Strasbourg, de « prendre le pouls du continent » pour donner à l’Europe « une nouvelle respiration démocratique ». Il est temps, selon les dirigeants de l’Union, de recueillir l’avis des peuples pour mieux les associer au projet européen. « Nous avons tous des rêves personnels quand nous pensons à l’avenir de l’Europe, a souligné la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Aujourd’hui nous voulons entendre parler de l’Europe dont rêvent nos citoyens ».

N’en déplaise à Mme von der Leyen, il n’est pas sûr que l’Europe fasse beaucoup rêver les citoyens du Vieux Continent. Mais il n’est pas inutile de se demander pourquoi elle continue d’inspirer à un grand nombre d’entre eux une sourde méfiance. Le grand exercice de démocratie participative auquel ils sont conviés peut aider à comprendre la mauvaise image dont pâtit l’Union dans une grande partie des opinions publiques et à reconstruire, à travers les discussions autour du modèle européen, une idée de l’Europe un peu plus enthousiasmante. « Tous les pays qui n’ont pas de légende sont condamnés à mourir de froid », a dit Emmanuel Macron en citant le poète Patrice de la Tour du Pin. Seul un récit partagé pourrait réchauffer l’Europe.

On peut se montrer sceptique sur l’efficacité de cette ambitieuse introspection européenne, malgré le lyrisme du président français. On peut s’inquiéter notamment des effets de l’habituelle langue de bois européenne, qui rebute les meilleures volontés, et redouter que les échanges, loin d’atteindre la « majorité silencieuse », comme le souhaite Mme von der Leyen, se limitent, comme c’est souvent le cas, au petit cercle des amis de l’Europe. Tout dépendra de la façon dont seront organisés les débats, sous la présidence des institutions européennes, et surtout des enseignements qui en seront tirés, le moment venu, pour « réformer l’Europe », comme l’a promis Emmanuel Macron. Mais il faut au moins saluer cet appel au peuple par-delà les pesanteurs traditionnelles de la machine européenne.

Ce n’est pas la première fois que l’UE s’interroge sur son futur. La Convention sur l’avenir de l’Europe, au début des années 2000, placée sous la
présidence de Valéry Giscard d’Estaing, avait ainsi tenté de remettre en chantier la construction européenne. L’entreprise s’était achevée douloureusement par le rejet du projet de Constitution européenne en France et aux Pays-Bas. Mais à la différence de la Conférence que viennent de lancer les Européens, la Convention s’adressait aux seuls spécialistes des questions communautaires, élus nationaux ou européens, et non aux citoyens ordinaires. La Conférence invite près de 450 millions de personnes à s’exprimer sur l’Europe. Le pari est loin d’être gagné. Mais c’est par le choc des idées et le brassage des expériences que se créera peut-être une société européenne, portée par une culture commune.

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