L’échec de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle a été accueillie par la plupart des dirigeants européens avec un mélange de soulagement et d’inquiétude. Soulagement parce que la candidate du Rassemblement national n’a pas réussi à gagner une majorité d’électeurs à la cause d’une extrême droite nationaliste, mise au service d’un populisme dont on voit, dans d’autres pays comme la Hongrie ou la Pologne, qu’il bafoue les valeurs de la démocratie en s’attaquant notamment à la justice et aux médias. Inquiétude parce que Marine Le Pen a obtenu un score important, dépassant pour la première fois le seuil des 40% et devenant une présidentiable assez crédible pour rendre plausible, dans les années à venir, le succès de ses idées. Des idées qui progressent partout dans le monde, en particulier en Europe, où la démocratie « illibérale », théorisée par le premier ministre hongrois, Viktor Orban, se présente ouvertement comme une alternative à la démocratie libérale.

« L’illibéralisme » connaît des hauts et des bas sur la scène internationale. En Hongrie, il vient de triompher en portant au pouvoir, pour la quatrième fois consécutive, Viktor Orban, qui apparaît comme son principal chef de file et comme un modèle pour d’autres dirigeants européens. En Serbie, un de ses proches, Aleksandar Vucic, vient également d’être reconduit par les électeurs à la présidence de la République. En revanche, en Slovénie, le premier ministre sortant, Janez Jansa, un de ses fidèles alliés, a subi un revers inattendu face à un adversaire libéral. De même, en République tchèque, il y a quelques mois, son ami Andrej Babis a été battu de justesse par une coalition de centre-droit. Ces défaites, qui s’ajoutent à celle de Marine Le Pen, renforcent heureusement le camp des démocraties face à celui des populismes, mais ceux-ci, même lorsqu’ils sont en échec, demeurent aux portes du pouvoir dans de nombreux pays.

Une dictature brutale

La menace de « l’illibéralisme », présenté par Viktor Orban comme « une force incontournable de la politique européenne », reste donc présente sur le Vieux Continent, et au-delà, si l’on pense au possible retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis ou, plus près de nous, à l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Avec la guerre en Ukraine, le combat entre les démocrates et les nationalistes prend même une tournure violente. Face à un pays qui défend les libertés, l’Etat de droit et l’indépendance, Vladimir Poutine incarne la brutalité d’une dictature qui asseoit son autorité sur la force des armes au nom d’un peuple qu’il soumet à une propagande mensongère et à une impitoyable répression. C’est ce même Vladimir Poutine que Marine Le Pen comme Viktor Orban n’hésitent pas à citer en exemple. Ni l’une ni l’autre ne sont responsables des actes du président russe mais leur complaisance est coupable.

L’enjeu majeur de la guerre en Ukraine est bien le sort de la démocratie en Europe. Cette démocratie dont on croyait, après l’effondrement du communisme, qu’elle allait imposer sa règle au monde entier mais dont on constate, trente ans plus tard, qu’elle est battue en brèche sur une partie de la planète. La bataille est donc engagée entre les autocraties, qui refusent de se plier aux lois de la République, et les Etats démocratiques, qui se distinguent par leur respect du droit, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières. Cette bataille, heureusement, se joue plus souvent dans les urnes que sur le terrain militaire. Mais elle est décisive pour l’avenir de nos sociétés.