Le rêve russe d’établir un empire moderne conjugue l’inspiration du soviétisme avec une Ukraine source de richesses et matrice spirituelle. Le choix ukrainien de la démocratie situé à l’opposé de ce rêve est donc considéré comme inconcevable et transgressif par Moscou. Dans cette guerre sans merci, les responsables spirituels seront peut-être une clé de dialogue de long terme, de paix possible et de reconstruction.

Le protestantisme est peu représenté dans le pays avec 800 000 fidèles environ (2 % de la population) mais actif. Sa dynamique provient pour une part de l’implantation récente d’Églises évangéliques et baptistes notamment issues de missions américaines, et pour une autre part de l’implantation luthérienne historique présente dès les premières années de la Réforme. Ces deux branches assez différentes de protestantisme soutiennent le pays dans sa tragédie actuelle, notamment par l’accueil de denrées alimentaires arrivant des pays voisins comme la Pologne, via les réseaux d’Églises.

Le protestantisme agit à sa mesure

Ces réseaux s’activent également à l’étranger, en France par exemple. Dès le 9 février la Fédération protestante a appelé dans un communiqué à « prier et œuvrer pour que cesse cette guerre et manifester la solidarité du protestantisme aux victimes », rappelant que les unions d’Églises, les œuvres et les mouvements protestants se sont mobilisés pour venir en aide, soit aux organismes d’accueil de réfugiés, soit par un soutien solidaire sur le terrain, notamment par l’intermédiaire du dispositif Solidarité protestante sous l’égide de la Fondation du protestantisme.

Une aide risquée à l’intérieur de l’Ukraine

Outre les réseaux d’Églises, des organismes protestants internationaux disposent de structures d’interventions efficaces dans les pays voisins et jusque dans certaines villes ukrainiennes. C’est le cas par exemple de l’ordre de Saint-Jean, dont la vocation par nature internationale s’appuie pour ce conflit sur des commanderies en Hongrie et en Pologne. Une structure internationale de soutien logistique coordonnée à Bruxelles achète et achemine des médicaments et des biens de première nécessité jusqu’en Pologne, Hongrie et Roumanie, explique Christian Velten-Jameson, vice-président de la structure. Capable de mener des opérations sur le long terme, cette centrale de coordination est relayée sur place par ses équipes d’urgence de la Johanniter-Unfall-Hilfe (JUH) essentiellement allemandes ou autrichiennes habituées à opérer en zone de conflit ou de catastrophe et prépositionnées pour ce genre d’intervention jusque dans des villes de l’intérieur de l’Ukraine. Des adultes et enfants malades ont ainsi pu être sortis de certains hôpitaux du pays et des camions de vivres et de matériels sont parvenus dès le 5 mars à Loutsk et Chitomir à 120 km à l’ouest de Kiev.

Éviter l’embouteillage humanitaire

Mais de tels résultats demandent une capacité professionnelle solide. De précédentes crises humanitaires comme en Haïti au lendemain du séisme de 2010 avaient montré toute l’importance d’outils comme la JUH pour assurer une coordination des aides face à l’arrivée massive d’ONG et de soutiens indépendants les uns des autres. Cette expérience de terrain est aujourd’hui de nouveau essentielle en Ukraine ou dans des pays comme la Pologne, dont l’administration tente de s’adapter aux afflux concomitants d’aides matérielles et de réfugiés. Outre le risque d’embouteillage humanitaire, la complexité provient de l’extrême variété des types de besoins : soutien matériel, mais aussi psychique, sanitaire, social, éducationnel ou de logement. Pour Laurent Sauquet, commandeur de l’ordre de Saint-Jean, pour être réellement adaptée l’aide apportée aux populations locales doit donc passer par ces organismes déjà en place ; pour ce qui concerne l’Ordre en France, le soutien est donc principalement financier afin de permettre aux intervenants sur place une plus grande marge de manœuvre et de réaction.

En France, l’accueil protestant s’est organisé

Pour ce qui concerne le protestantisme en France, les structures d’accueil et d’accompagnement dans l’Hexagone mises en place il y a quelques semaines pour prévoir l’afflux de réfugiés d’Ukraine sont opérationnelles. Les voies d’accueil et les processus d’accompagnement inaugurés avec les réfugiés du conflit en Syrie ont donné à la Fédération de l’Entraide protestante l’expérience de la coordination et de l’animation de ces réseaux. En région parisienne, c’est le Centre d’action sociale protestant (Casp) qui est le fer de lance de l’opération. Cette grande structure pérenne et reconnue des pouvoirs publics permet l’accueil en hôtel ou dans des centres dédiés. Elle dispose en outre de tous les apports nécessaires en matière sanitaire, psychique ou administrative. Le Casp a d’ailleurs souhaité élargir sa capacité d’accueil dans un communiqué aux protestants de la région, appelant « à trouver dans un temps record des solutions nouvelles ». Des familles de paroissiens ont ainsi été sollicitées pour proposer des hébergements temporaires d’un mois, le Casp s’engageant à ce qu’un « référent accompagne chacun dans cette démarche citoyenne et soit à ses côtés pour parer toute difficulté ». Là encore, l’expérience des crises humanitaires précédentes a permis de bâtir un accueil spécifique dans de multiples domaines.

Complexe et de longue haleine

On le voit, cette guerre est complexe par son histoire, ses symboles, les liens inextricables qui existent entre le politique, la corruption, la notion de vérité ou l’impact de la spiritualité. L’émergence d’un sentiment fort de la nation ukrainienne au milieu de cet imbroglio est une surprise pour beaucoup. Comme peut l’être plus à l’ouest le sentiment d’une Europe davantage unie.

Dans ce contexte, les identités ont tendance à se crisper et à rejeter la différence. Le poids des Églises et du judaïsme peut donc sans doute aider à assouplir ces différends et recréer la capacité de dialogue suffisante à une recherche de solutions, bien que cela paraisse aujourd’hui encore impossible de parier sur des apaisements durables. Dans l’intervalle, la spiritualité se traduit aussi en prière pour les parties prenantes dans ce conflit et en aides matérielles pour les personnes qui en sont victimes. Le protestantisme a sa part à prendre dans cette tâche de longue haleine, pour montrer et traduire la grâce qui l’anime.