« On observait déjà de leur temps le carême, et il y avait quelques superstitions en cela, d’autant que le commun populaire pensait faire un beau service à Dieu, en carêmant, et les pasteurs prisaient cette observance, comme si elle se fût faite à l’exemple de Jésus-Christ (Mat. 4. 2) », écrit Jean Calvin dans son Institution de la religion chrétienne (Livre 4, chap. 12, § 20), avant d’expliquer que la tradition chrétienne n’a eu de cesse de « corrompre » le jeûne, faisant de lui une pratique méritoire, ce qu’il ne saurait être.
Et de carême, on ne parla plus, dans le monde réformé francophone jusqu’en la seconde moitié du XXe siècle, même si, pour scander le temps liturgique, il est question, dès le XIXe siècle, des 4 dimanches de la passion et du service d’humiliation, avant le dimanche des Rameaux.
La tradition luthérienne parle également du temps de la passion, mais aussi de dimanches de carême et est plus sensible aux rythmes liturgiques. Elle partage pourtant les réserves réformées concernant toutes pratiques de mortifications méritoires, parlant d’une fausse conception des traditions ; la Confession d’Augsbourg précise : « il est absolument contraire à l’Évangile de prescrire ou de faire de telles œuvres dans le but de mériter la rémission des péchés, ou de croire que l’on ne peut être un chrétien sans de telles pratiques. » (chap. 26).
Un sens nouveau
Un sens nouveau à trouver Carême protestant, deux mots qui furent donc pendant longtemps incompatibles dans la tradition protestante ; l’expression, pourtant, s’impose, sur la scène francophone, avec la naissance des conférences de carême, il y a plus de 90 ans, et certainement dans le sillage du mouvement oecuménique. Temps de préparation à l’événement pascal, il ne s’agit plus de mériter quoi que ce soit, mais de mettre un temps à part, pour faire un peu de place dans nos vies bien encombrées afin de nous rendre davantage attentifs à la Grâce qui vient. Le nouveau sens du jeûne n’est peut-être pas à chercher dans la nourriture, mais dans celui de la consommation médiatique et celui de notre hyper connexion : télévision, omniprésence des réseaux sociaux, et surtout de ces chaînes d’information en continu, qui nous abreuvent d’images en boucle, dans l’immédiateté de l’émotionnel, et qui viennent empêcher toute réflexion sur l’événement. Car il faut du temps pour penser les choses.
Peut-être est-il urgent d’attirer notre attention sur notre mode de consommation de l’information, des médias et des réseaux sociaux. Il ne s’agit pas de diaboliser les choses, mais d’apprendre le juste recul des choses.