Chacun connaît l’injonction de Jésus aux disciples dans l’évangile de Marc (10.13-16) : « Laissez venir à moi les petits enfants, ne les en empêchez pas. » Il y a déjà deux mille ans, cette demande nécessitait de faire taire les légitimes projections des parents quant au devenir de leur enfant, pour laisser place à une expérience spirituelle des jeunes avec leur Dieu.

Décalage constaté

Ce n’est pourtant pas la réalité du terrain, encore actuellement. Il suffit de confronter la parole des jeunes aux projets de vie des paroisses pour s’apercevoir d’une différence de taille. Là où les communautés souhaitent souvent mettre en place une forme d’enseignement biblique ou un contenu pédagogique, la mémoire des enfants passés par l’école biblique évoque le sourire de telle monitrice ou l’encouragement reçu lors d ’un événement de vie difficile. Ce décalage est normal et compréhensible. Il tend à s’amenuiser avec le temps et les évolutions survenues dans la façon de considérer l’enfance.

Un apprentissage religieux

Les plus anciens se souviennent des séances hebdomadaires de l’école du jeudi, traditionnellement centrées sur un texte biblique, expliqué puis colorié ou mis en scène. L’année se déroulait suivant un programme structuré à partir d’un évangile ou d’un personnage comme Abraham ou Moïse. Pour schématiser, la pédagogie sous-jacente relevait d’un apport de contenu, d’un savoir à partager. J’entendais encore au début de mon ministère des familles souhaitant que les enfants deviennent de bons protestants, par une catéchèse de transmission. Dans cette vision parfois encore actuelle fondée sur la religion, l’enfant a une place d’élève apprenant les choses de la foi. Il doit trouver sa place dans la communauté par adhésion à des valeurs vécues de génération en génération. Cette option, quoique légitime, s’est heurtée à la réalité d’une société déchristianisée dans laquelle la place du religieux est soit une affaire d’intimité familiale, soit une affirmation de militantisme.

L’enfant disciple du Christ

D’autres paroisses ou familles ont fait le choix de suivre l’évolution de la pédagogie ambiante dès les années 1980 pour accorder à l’enfant une place centrale dans la vie communautaire. Elles constataient que la grande majorité des couples étaient alors mono-protestants, ce qui impliquait un dialogue avec d’autres formes de spiritualité. Le baptême a parfois été remplacé par la présentation pour permettre à l’enfant de choisir plus tard sa voie, l’âge des confirmations a été abaissé pour se caler au mieux sur la pratique du catholicisme, l’accès à la Cène a été mis en place pour les enfants sous condition que leurs parents leur expliquent. La catéchèse elle-même a évolué en laissant place au ressenti personnel et au débat. Ces choix ont ainsi valorisé l’expérience sur le contenu, l’exemple sur le savoir et ont ainsi contribué à former des disciples du Christ engagés dans le monde environnant. Cette démarche comportait un risque, celui de considérer l’enfant comme un adulte en miniature et de faire peser sur lui des choix et des responsabilités qui le mettaient en tension.

Le spirituel est naturel à l’enfant

Ces deux options d’éducation se fondent sur le principe que l’enfant doit apprendre et grandir dans sa foi. La notion même d’apprentissage suppose que l’adulte est supérieur à l’enfant par son savoir ou son expérience de la relation à Dieu, et que cette relation doit se cultiver, s’enrichir, se réfléchir pour grandir et s’exprimer pleinement. Or le texte biblique a une approche différente de l’enfance. Deux expressions de Marc 10 ont été comprises comme des invitations à la simplicité enfantine : « Laissez venir à moi les enfants, ne les empêchez pas » ou « Quiconque n’accueille pas le royaume à la manière d’un enfant n’y entrera pas ». Mais dans leur réalité, ces phrases partent d’un constat : l’enfant est capable de spiritualité. Il est même en situation de spiritualité plus directe et moins construite ou rationnalisée que les adultes.

Partant de ce principe, les pédagogues de la catéchèse adaptent aujourd’hui des programmes pour les fonder sur l’expression de l’enfant en même temps que sur le contenu biblique. Il s’agit pour la monitrice ou le moniteur d’école biblique de donner à un enfant les moyens d’exprimer la foi naturelle qui est en lui et de fournir un contenu en soutien de son expérience spirituelle. De cette façon, la spiritualité peut se dire et se vivre au milieu des autres en communauté, les ressentis de chacun pouvant se répondre et se nourrir les uns des autres. La monitrice devient alors l’accoucheuse d’une spiritualité naturelle qu’elle aide à éclore, une sage-femme de la foi enfantine.

La logique de l’événement de foi

De la même manière que les Églises ont développé pour les adolescents une pédagogie de l’événement, comme le Grand Kiff, pour que les jeunes puissent se rencontrer et vivre leur propre spiritualité dans un cadre peu formel, certaines écoles bibliques inventent les façons de soutenir les enfants dans la prise de conscience de leur foi.

Dans ce cadre évolutif, la piété familiale prend une importance centrale, car la spiritualité peut être vécue de diverses façons. Une musique, un objet d’art, le spectacle de la nature, un chant ou la réponse à une question existentielle seront autant de temps de spiritualité, les parents en faisant prendre conscience à leur enfant.

Ces méthodes en cours d’élaboration ont des atouts : elles partent de l’existant constaté et non des projections adultes sur ce qu’est l’enfant et elles favorisent notamment une expérience transgénérationnelle de témoignage mutuel entre l’enfant et l’adulte. Cela apporte une solidité à ce qui est vécu ensemble et assied la confiance de l’enfant dans son ressenti du divin, ce qui lui sera utile dans sa construction sociale et sa vie scolaire.

L’enfant partenaire de foi

Porteurs de ressentis non identifiés qui les précèdent, les enfants ont cette capacité à appréhender le divin et traiter naturellement Dieu comme partenaire de leur vie. En disant le même Notre Père que les enfants, les adultes peuvent se considérer à leur tour comme partenaires de la foi de leur progéniture. D’une certaine façon, les enfants réapprennent la spiritualité aux parents ainsi que la relation naturelle qui peut exister entre l’âme, le corps, l’expression et la relation. Les parents en retour ont la responsabilité de laisser éclore cette spiritualité et de la guider dans sa compréhension. Cette logique de compréhension mutuelle répond plus spécifiquement au « ne les en empêchez pas » de l’Évangile, qui pouvait laisser supposer que le désir de bien faire des disciples adultes allait à l’encontre de la spiritualité. Le regard de l’Église sur la place de l’enfant a bien changé.