Au fil de l’histoire

L’Antiquité voit dans la superstition une religion outrancière et excessive ; c’est, d’ailleurs, peut-être le sens étymologique du mot, « super » indiquant une hypertrophie. Elle est une croyance qui va au-delà de ce qu’exige le culte officiel, contrôlé et canalisé, de la Cité. Pour les Réformateurs, la superstition est une religion idolâtre qui divinise des réalités du monde. Ainsi, ils jugent éminemment superstitieuse la croyance que l’hostie consacrée est matériellement « corps du Christ » et non pas signe sensible d’une présence spirituelle.
Selon des philosophes tels que Locke et Kant, la superstition se définit par une conception magique et irrationnelle de la causalité, alors que la véritable religion se veut « raisonnable ». La foi ne se confond certes pas avec la raison, mais à la différence de la superstition, elle ne la disqualifie pas ; elle la respecte et lui reconnaît un domaine propre. Entre religion et superstition, la frontière se franchit facilement. Ainsi, pour la foi, Dieu intervient dans notre vie : le superstitieux s’imagine qu’il agit en opérant des guérisons miraculeuses en certains endroits (sanctuaires ou lieux de pèlerinage) ou à travers des rites spéciaux (imposition des mains et formules pieuses). Pour la foi, la Bible transmet la parole de Dieu : la superstition ouvre les Écritures au hasard pour y découvrir ce qu’il ordonne de faire en tel cas précis, de même que pour les augures latins les entrailles des animaux révélaient la volonté divine.

Une foi sans superstition

La religion combat les dérives et délires de la superstition de deux manières. D’abord en soulignant la transcendance et l’altérité de Dieu que le croyant, sensible à juste titre à sa présence, a tendance à oublier. Dieu est à fois intime et différent. Il est proche, mais ne se confond pas avec notre monde. Seul il est divin, seul il est saint, comme le répète inlassablement Zwingli. En dehors de lui, il n’y a que du profane, du séculier ou du laïc. Mêler au naturel du surnaturel revient à diviniser indument des réalités qui n’ont en elles rien de magique ni de sacré, même quand elles témoignent de Dieu (c’est le cas des Écritures ou des sacrements).
Ensuite, en encourageant et en aidant le développement d’une foi pensée et réfléchie qui ne sera pas moins vive et ardente, mais qui sera plus solide, plus équilibrée, plus profonde. Elle s’immunisera ainsi contre les déviations qui la menacent, y compris celle de la superstition. On objecte parfois à de tels propos que Paul présente la foi comme une folie qui déborde et contredit la « sagesse du monde ». Mais, ce faisant, Paul ne légitime nullement, bien au contraire, la recherche de prodiges et de miracles dont la superstition est friande (1 Cor 3.21-22). Ailleurs, il recommande un « esprit de sagesse » (Ép 1.17) ; il rejette non pas la sagesse en tant que telle, mais une certaine forme de sagesse. Lorsqu’il nous demande d’aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force, Jésus prend soin d’ajouter au texte de l’Ancien Testament qu’il cite (Dt 6.5) « de toute notre pensée ». Cultiver une foi pensée et réfléchie éloigne des croyances superstitieuses.